Un vent d'acier
la plus redoutable menace, et de plus, comme le sentaient les commissaires, elle permettait de porter l’offensive en Belgique.
Entre-temps, s’était hélas produit un désastre, fruit de la plus abominable trahison. Le 27 août, Toulon, le plus grand port de guerre, venait d’être livré aux Anglais par les amiraux Chassegros et Trogoff, de concert avec les royalistes du Midi. Toute l’escadre de la Méditerranée aux mains de l’ennemi ! Il avait gardé pour son service quinze navires, incendié les vingt-quatre autres. Rien ne restait à la France de cette belle flotte qui avait ravi à l’Angleterre la maîtrise des mers pendant la guerre d’Amérique. C’était la revanche anglaise.
Au pavillon de Flore, on avait d’abord gardé secrète la nouvelle, car on imaginait trop comment allaient l’exploiter les adversaires du gouvernement. Déjà les Cordeliers exagérés, Hébert en tête, tendaient plus violemment chaque jour à discréditer le comité Robespierre au moyen de leur constante surenchère démagogique. Le péril discerné par Claude dès l’assassinat de Marat devenait encore plus menaçant pour la Révolution que la contre-révolution elle-même. Et Danton, toujours tenté par la politique du pire, poussait sournoisement à la roue, avec l’idée, parbleu, d’y trouver son compte. Faire basculer la Révolution dans les excès de toute espèce, dans la folie, c’était évidemment pour lui le moyen de se préparer une popularité unanime quand il se dresserait afin d’arrêter ces fureurs. Il serait alors le sauveur Danton, le maître de la France. Son dessein paraissait clairement désormais.
Les yeux peu à peu dessillés, Claude se demandait comment il avait pu être dupe de ce joueur sans conscience, de ce jouisseur effréné. Il ne voyait assurément dans la Révolution qu’une occasion de « se mettre dessus » comme il le conseillait, un soir, à ses véreux amis, dans la cour des Jacobins. Dubon d’abord, Saint-Just ensuite disaient vrai : Danton était un homme dangereux. Il traitait le Comité de pusillanime et presque ouvertement de modérantiste, tandis qu’Hébert, dans sa feuille infâme, dénonçait « les traîtres qui siègent sur la Montagne ». On aurait pu gagner Hébert, il n’était devenu si virulent qu’après la nomination de Paré au poste de Garat, démissionnaire du ministère de l’Intérieur. Un portefeuille eût bâillonné le Père Duchesne, mais on le méprisait trop pour pactiser avec lui. Cependant, il s’élevait peu à peu au rang de chef de parti, il profitait de tout pour harceler les commissaires, les accusant de favoriser le royalisme renaissant. Ces jours-ci, n’avait-il pas pris prétexte, pour démontrer l’esprit contre-révolutionnaire du Comité, des bousculades qui se produisaient au Théâtre-Français où les royalistes allaient applaudir et les sans-culottes siffler Paméla, comédie tendancieuse, tombant sous le coup de la loi sur les spectacles. Comme si l’on n’avait rien d’autre à faire, au pavillon, que de s’occuper de futilités pareilles ! On trancha tout net en interdisant la pièce, fermant le théâtre et en saisissant auteur et comédiens. Claude avait signé avec ses collègues l’arrêté, sans se douter qu’il envoyait ainsi Babet à Sainte-Pélagie où Manon Roland, transférée là depuis quelque temps, la vit entrer avec M lles Lange, Vanhove, Raucourt, Fleury et autres. Le lendemain, la Feuille du Salut public, annonçant cette arrestation, ajoutait perfidement : « Les administrateurs de la police se sont consultés pour savoir si la dame Raucourt devait être mise dans la prison des hommes ou des femmes. » Babet n’aurait pas profité longtemps du somptueux hôtel de la rue de l’Université. On a beau compter des puissants du jour parmi ses amis, que peuvent-ils, même Hérault-Séchelles, contre Robespierre déclarant, à la tribune de la rue Saint-Honoré : « Les princesses de théâtre ne sont pas meilleures que celles de l’Autriche. Les unes et les autres sont également perverses, les unes et les autres doivent être traitées avec une égale sévérité. » Malgré cela certain membre du Comité de Sûreté générale usa clandestinement de sa situation pour relâcher les prisonnières. Alors Robespierre : « Le Comité de Sûreté générale est composé de vingt-quatre membres ; il n’était pas possible que quelqu’un d’eux ne fût accessible aux séductions
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