Un vent d'acier
représentation nationale ait adopté les moyens propres à nous sauver. » C’était l’appel pur et simple à la troisième révolution annoncée par Danton. Dès cet instant Dubon ne douta plus que Dantonistes et Hébertistes eussent sourdement cause liée. En tout cas, le Père Duchesne ne cachait pas son dessein d’imposer par la force à la Convention le système de terreur que Royer avait réclamé aux Jacobins. « Que l’armée révolutionnaire, ajouta Hébert, parte à l’instant même où le décret sera rendu, mais surtout que la guillotine suive chaque rayon, chaque colonne de cette armée ! »
La nuit était venue. Pache, afin de vider la salle, conseilla aux assistants de se rendre dans leurs sections pour les informer des résolutions prises par la Commune. Ils y portèrent surtout le tumulte. Celle de Dubon, du Pont-Neuf, arrêta des « aristocrates » qui la troublaient. Celle des Sans-Culottes, ci-devant du Luxembourg, se déclara « en insurrection contre les riches qui veulent asservir le peuple et la république ». La plupart restèrent sur pied toute la nuit, à motionner. Le Comité, tenu au courant d’heure en heure par ses divers agents, ne pouvait douter d’avoir au jour à subir un rude assaut.
Robespierre était allé aux Jacobins dès l’ouverture de la séance. Ni Claude, retenu au pavillon avec Prieur par leur besogne suprêmement urgente, ni Dubon occupé à faire livrer les farines requises par Chaumette, n’avaient pu suivre Maximilien. Il disposait néanmoins d’un excellent auxiliaire : Renaudin, et ils s’étaient entendus sur la tactique. L’ex-luthier parla le premier. « Il dénonça « les contre-révolutionnaires qui se mêlent aux bons citoyens jusque dans les tribunes du club. Ces aristocrates déguisés qui assistent à nos séances se reconnaissent à ce signe : ils disent tous des horreurs de Robespierre ».
Renaudin conclut en exhortant les vrais patriotes à démasquer ces faux frères et à en faire justice. Astucieuse manœuvre, semblait-il. Ainsi se trouvaient par avance désignés comme ennemis publics ceux qui n’approuveraient pas les paroles de l’Incorruptible.
Il monta peu après à la tribune pour prononcer un long discours très étudié, très balancé, où d’abord il mit ses auditeurs en garde contre les conseils de violence des Enragés et des Hébertistes – sans les nommer – contre une émeute qui comblerait de joie les aristocrates, « car il existe un complot d’affamer Paris et de le plonger dans le sang, le Comité de Salut public en a les preuves ». Il s’efforça ensuite de calmer les esprits au sujet de Toulon. Puis, à propos des subsistances, il dit, en termes volontairement vagues : « Nous ferons des lois sages mais en même temps terribles qui, en assurant à tous les moyens d’existence, détruiront à jamais les accapareurs, pourvoiront à tous les besoins, préviendront tous les complots, les trames perfides ourdies par les ennemis du peuple pour l’insurger par la faim, l’affaiblir par les divisions, l’exterminer par la misère. » Pour n’avoir pas l’air moins démocrate que les ultras, il lança cette menace : « Si les fermiers opulents ne veulent être que les sangsues du peuple, nous les livrerons au peuple lui-même. » Mais aussitôt après il appela les patriotes à l’union, à l’obéissance aux autorités. « Ne perdons pas de vue, dit-il avec insistance, que les ennemis du bien public désirent nous rendre suspects les uns aux autres et particulièrement nous faire haïr et méconnaître toutes les autorités constituées. »
Les applaudissements obligatoires ne furent guère nourris. Toute une partie du club, manifestement, trouvait Maximilien bien tiède. Prenant sa place à la tribune, Royer lui dit : « Robespierre, ton âme est pure et tu crois celles avec lesquelles tu communiques semblables à la tienne, c’est tout simple, mais elles sont loin de l’être. » Il attaqua là-dessus Cambon. Très riche négociant de Montpellier, il avait, avec son père et ses deux frères, acquis en deux ans d’immenses quantités de biens nationaux. Quant à Barère, « hier feuillantiste, il a tenu dans la Révolution une marche tortueuse. Si le côté droit eût triomphé, Barère insulterait aujourd’hui aux Jacobins anéantis ».
Maximilien, renseigné sur Cambon par un autre Montpelliérain, le banquier Aigoin, commissaire à la trésorerie nationale, se
Weitere Kostenlose Bücher