Un vent d'acier
cinquante-huit forges en plein air. Les passants voyaient fabriquer les fusils. Dix foreries fonctionnèrent sur la Seine, dans des bateaux. Les citoyennes patriotes travaillaient aux équipements, dans les églises. On construisit des affûts de canon dans celle de Saint-Nicolas, on fondit les pièces au Champ-de-Mars, on les polissait sous les voûtes de Notre-Dame de Lorette. Les couvents, les demeures aristocratiques furent affectés au service de la patrie. La commission des armes et poudres occupait, au Marais, l’hôtel de Juigné – mais le Comité avait ordonné que l’on prît garde d’altérer les livres composant la célèbre bibliothèque, et que ce « dépôt sacré, si utile pour l’instruction publique », fût conservé avec toute l’intégrité possible. Rue de l’Université, la maison du ci-devant chancelier Maupeou servit d’entrepôt général pour les outils. Le charbon s’entassa, rue Saint-Jacques, dans les jardins des Bénédictins anglais. Le fer, chez le ci-devant comte de Guiche. L’acier, à l’hôtel de Broglie, rue de Varenne, à côté du ministère de la Guerre. Ces matières premières indispensables que l’on ne pouvait plus se procurer en Angleterre, en Hongrie, on les obtint par des moyens révolutionnaires. Le mobilier de l’émigré Condé fournit plus de dix mille livres de cuivre. La batterie de cuisine du Palais-Égalité fut fondue de même. On envoya la rejoindre dans les creusets la plus grande partie des « breloques monstrueuses du Père éternel ». Dans toute la France républicaine, chaque paroisse dut ne conserver qu’une seule cloche. Les grilles des couvents, des hôtels particuliers, des châteaux, des maisons de campagne furent transformées en canons de fusils, en baïonnettes. Les couvertures de plomb des cathédrales, en balles. Des milliers d’hommes forgèrent, fondirent, limèrent, forèrent, à Paris et dans les sept manufactures de province. Les ex-nobles furent autorisés à demeurer dans la capitale s’ils travaillaient aux armes. De sa cuisine, la bonne Margot, préparant de chiches repas pendant que Lise dirigeait l’atelier des citoyennes de la section, entendait les ouvriers nationaux chanter dans la ci-devant cour de Longueville, parmi le vacarme des marteaux sur les enclumes :
Forgeons, forgeons, forgeons bien !
V’la qu’on vous fait sabre et pique
Pour aller grand train,
Soldats de la République,
Vous n’manquerez de rien.
Sur bien des portes, à côté de la liste des locataires on pouvait lire une inscription : « Pour donner la mort aux tyrans, les citoyens logés dans cette maison ont fourni leur contingent de salpêtre. » Jusqu’à présent, le pays produisait à peine, par an, un million de livres de ce sel nécessaire pour fabriquer la poudre ; désormais, il en fallait un million de livres par mois. Le savant Monge, ministre de la Marine, ayant indiqué que l’on en trouverait dans les lieux bas et clos, le Comité avait invité expressément tous les propriétaires ou locataires à lessiver eux-mêmes leurs caves, écuries, étables, celliers, remises, etc. Le salpêtre ainsi récolté leur était payé vingt-quatre sols la livre. On le raffinait à Saint-Germain-des-Prés, sous la direction du chimiste Chaptal, puis on le transportait dans la plaine de Grenelle métamorphosée en une gigantesque poudrière.
Cette puissante impulsion révolutionnaire ne donnerait pas tout de suite ses fruits, néanmoins l’armée du Nord, pour laquelle on avait raclé les ultimes réserves de fournitures, reconstituée selon le principe de l’amalgame et renforcée de quelques brigades, semblait en mesure de passer à l’offensive contre les Anglais assiégeant Dunkerque défendu par Souham et le jeune Hoche. C’est là que, dans son plan approuvé par le Comité, Carnot avait décidé de porter le premier coup à la coalition des tyrans. Dès le 15 août, il avait prescrit impérieusement à Houchard, qui commandait toujours l’armée du Nord, d’attaquer. Présentement établi dans le triangle Hazebrouck, Saint-Omer, Cassel, il marcherait sur Hondschoote, en balayerait les Autrichiens du général Freytag et gagnerait la côte pour prendre à revers les forces austro-anglaises placées sous les ordres du duc d’York. Le 22 août, à la réunion du soir, où l’on examinait en commun les affaires principales de chaque section, Carnot lut une lettre de Houchard. L’opération débutait mal : Barthel,
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