Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
Chapitre 1 Un Vietnamien bien tranquille
Il vous attend derrière la grille de son petit jardin qui donne sur une artère bruyante du troisième arrondissement, près du centre de Sài Gòn. Quand vous vous excusez de l’avoir fait attendre, il s’empresse de répondre qu’il vient de raccompagner un visiteur. Au fil des années, son affabilité ne s’est pas atténuée. Au fond d’un jardin long d’une vingtaine de mètres, la maison à un étage qui lui a été attribuée après la victoire de 1975 – louée auparavant à un diplomate britannique – jouxte un magasin transformé en café-karaoké.
Bien ventilée, la pièce principale est divisée en plusieurs parties : un coin bureau, où s’empilent à proximité d’un antique téléphone des journaux jaunis par l’humidité ; un espace salon, avec ventilateur au plafond et, autour d’une table basse, deux vieux fauteuils et un canapé, sur lequel notre hôte s’étend en milieu de journée pour se reposer ; enfin, du côté de la salle à manger, encadrée par deux bibliothèques aux murs, une large table à moitié recouverte de dossiers.
Le fouillis n’est qu’apparent. Sans hésiter, Pham Xuân An retrouve l’ouvrage, le cliché, le document recherché. À l’âge où il bénéficie du statut de patriarche, il est resté d’une belle simplicité. Il se garde de se prendre au sérieux et donne toujours l’impression d’être disponible. Plein d’humour, il se moque de lui-même et des autres. Parfois aussi, il raconte des histoires salaces, comme on les aime au Nord, à Hà Nôi, alors que les méridionaux vietnamiens se montrent plus prudes. À soixante-dix-sept ans, Pham Xuân Ân continue de compulser les documents les uns après les autres, suit de près l’actualité, internationale et nationale.
Je vis à Bangkok. Pendant plus de deux ans, je ne suis pas retourné au Viêt Nam. Début 2004, je m’y rends à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de la victoire du Viêt Minh à Diên Biên Phu. Je m’arrête à Sài Gòn pour y retrouver quelques amis et, bien sûr, revoir Pham Xuân Ân qui a subi de nouveaux problèmes de santé. Il a encore maigri, paraît plus frêle. Il a déjà été victime de deux rechutes de tuberculose et hospitalisé, l’année précédente, plus de deux mois. Il a enfin abandonné la cigarette – ses médecins le priaient sans succès d’y renoncer depuis des années. Mais sa poignée de main reste toujours aussi ferme. Ses yeux roulent de la même façon quand, pince-sans-rire, il raconte une histoire drôle. Il n’a pas besoin d’attendre la fin d’une question pour en avancer la réponse.
Comme d’habitude, nous échangeons des nouvelles de nos familles. Son épouse s’est remise d’un cancer soigné au début des années 1990. L’un de ses petits-enfants vient nous saluer. Pham Xuân Ân ne manque pas de me demander des nouvelles de mon fils – « un garçon très intelligent », dit-il. Une dizaine d’années auparavant, quand ce dernier était encore adolescent, Pham Xuân Ân l’avait emmené, sur sa petite moto, au marché aux animaux. Ils partagent cette même passion.
Des cages à oiseaux sont suspendues dans l’entrée et aux fenêtres de sa maison. Leurs pépiements, qu’il imitait parfaitement quand il avait encore assez de souffle, filtrent la rumeur de la rue. D’une jeunesse passée en partie à la campagne, il garde le goût des animaux. « Peut-être que les pépiements créent une sorte d’apaisement, un écran », s’interroge l’un de ses amis vietnamiens, sans connaître la réponse. Mais, contrairement à de nombreux Vietnamiens, Pham Xuân Ân n’a pas l’âme d’un poète romantique.
Il se lève pour aller chercher dans l’office un plateau chargé de deux tasses de café surmontées de leurs filtres, comme les Vietnamiens ont l’habitude de le servir depuis le temps des Français. La simplicité de ses manières ne dissimule pas ma certitude. J’ai, face à moi, un personnage hors du commun. Ma gêne s’efface pour laisser place à la curiosité. Je me suis habitué à sa méthode, délibérée ou non, d’aborder incidemment un sujet. Va-t-il me parler de stratégie américaine ? Lever un coin du voile sur l’un de ces méandres secrets qui façonnent l’histoire contemporaine du Viêt Nam ?
La conversation prend le cours qu’il souhaite. Dans sa démarche, il tient du laboureur et du pédagogue. Il fait
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