Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
Moskva. Quand les Cambodgiens poursuivent leurs incursions dans le delta du Mékong, le Viêt Nam propose, en 1977, l’établissement d’un cordon sanitaire sur la frontière avec leur voisin d’une largeur de cinquante kilomètres. Ils ne reçoivent aucune réponse, ni de l’ ONU ni des États-Unis ni de la Chine. Or ils savent que les Chinois sont derrière Pol Pot. Ils prennent peur quand les attaques dans la province de Tây Ninh et dans le delta du Mékong – à Châu Dôc et à Hà Tiên – se multiplient. Ils n’ont plus le choix : ils se tournent vers Moskva. »
La direction communiste vietnamienne est, pour une fois, unanime. Ses relations avec Beijing continuent de se dégrader.
En 1978, le tournant est pris : Hà Nôi adhère au Comecon et signe, le 11 novembre, un « traité d’amitié et de coopération » de vingt-cinq ans avec Moskva. L’ancien complexe aéroportuaire américain de Cam Ranh, dans le centre du pays, est mis à la disposition de l’armée soviétique. Un véritable acte de défiance, une claque, juge Beijing. Voilà le Viêt Nam transformé en avant-poste du socialisme soviétique en Asie. Il devient entièrement dépendant de l’aide civile et militaire de Moskva.
Dans la foulée, le Viêt Nam envahit le Cambodge. Le 25 décembre, plusieurs divisions franchissent la frontière. Phnom Penh est prise dès le 7 janvier 1979. Pol Pot et sa bande sont contraints de se retirer en Thaïlande. L’intervention militaire vietnamienne au Cambodge marque le véritable début de la troisième guerre d’Indochine. Les deux principaux protagonistes sont, cette fois-ci, le Viêt Nam et la Chine, comme si l’on retournait à la case-départ de relations millénaires mouvementées entre deux voisins qu’on appelle « le grand et le petit dragon ».
Début 1979, la « punition » chinoise prend la forme d’une attaque féroce. « Ce fut une guerre très dure », m’a dit le général Nguyên Chuông, alors commandant d’une région militaire sur la frontière chinoise. Dans son petit salon à Hà Nôi, il a transformé en porte-fleurs l’enveloppe d’un obus de 130 mm, de fabrication chinoise, récupérée sur place. « Les combats ont duré plus de dix ans ; les derniers échanges de tirs d’artillerie ont pris fin en mars 1989 et les derniers coups de feu en mars 1990. » Cette guerre frontalière a fait des dizaines de milliers de victimes civiles et militaires. De petites villes et des villages ont été détruits.
Entre-temps, le corps expéditionnaire vietnamien au Cambodge a compté jusqu’à deux cent mille hommes car ses adversaires, à commencer par les Khmers rouges, ont été aidés par la Chine et la Thaïlande leur a servi de base arrière. Alors que le Viêt Nam a débarrassé le Cambodge du régime barbare de Pol Pot, l’ ONU refuse de reconnaître le fait accompli. Le Viêt Nam est complètement isolé en Asie. Entre fin 1978 et fin 1989, date de leur rapatriement, plus de cinquante mille soldats vietnamiens sont officiellement morts au Cambodge, soit l’équivalent des pertes militaires américaines au Viêt Nam.
Pendant la guerre américaine, le PC vietnamien avait louvoyé tant bien que mal pour tenter d’occulter le schisme entre l’ URSS et la Chine populaire, ses deux principaux pourvoyeurs en armes, munitions, expertise militaire et finances. Dans la dernière phase, face au bulldozer américain, Hà Nôi a eu notamment besoin de l’expertise militaire soviétique, en particulier pour renforcer sa défense antiaérienne. La Chine met un frein à l’écoulement de l’aide militaire soviétique à travers son territoire. C’est le début du divorce.
« Vingt ans d’hostilité avec la Chine, nous n’en avions pas les moyens », résume Pham Xuân Ân.
Chapitre 1 2 Désenchantements
Dans le chaos qui accompagne la victoire militaire de 1975, Pham Xuân Ân n’a guère le temps de se poser beaucoup de questions. Sa femme et ses quatre enfants sont aux États-Unis où il ne peut pas, ou ne veut pas, les rejoindre : s’il tentait de le faire, il pourrait être victime, en cas de succès, d’une dénonciation. Sa marge de manœuvre est étroite. Quelques années auparavant, un de ses amis sud-vietnamiens, le général Nguyên Chanh Thi, exilé en Amérique depuis 1966 à la suite d’une rébellion militaire avortée, lui avait écrit. Nguyên Chanh Thi lui avait indiqué que ses propres enfants avaient pris de
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