Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
renseignements du siècle. » Il estime que le terme de « stratège défensif » est le plus approprié pour définir la mission qu’il a accomplie avant 1975. « Nous avons été contraints de combattre », a dit, de son côté, le général Vo Nguyên Giáp. C’est une première donne : le Viêt Nam s’est d’abord battu contre des envahisseurs.
« Cette histoire est plus exemplaire que la mienne, vous devriez lire ce livre », me conseille-t-il un jour en retirant de sa bibliothèque un ouvrage intitulé Ao Dai, du Couvent des Oiseaux à la jungle du Viêt-minh.
Je n’en avais jamais entendu parler, trois ans après sa publication en France. Avec l’aide d’une journaliste française, Xuân Phuong y relate son propre itinéraire. Elle est issue d’une grande famille de l’ancienne capitale impériale et a fréquenté le Couvent des Oiseaux, institution catholique réputée à Dà Lat, station d’altitude des Hauts-Plateaux du Sud. Dans son autobiographie, Xuân Phuong relate, avec une grande simplicité, le cheminement long et douloureux d’une lycéenne de Huê qui, à l’âge de seize ans, s’est engagée dans la résistance antifrançaise et a, par la suite, élevé ses quatre enfants dans un « réduit » à Hà Nôi, y compris sous les raids aériens américains qui y semaient la terreur. Elle n’a jamais été membre du PC . En tant que journaliste et productrice de télévision, Xuân Phuong a accompagné les troupes nord-vietnamiennes jusqu’à Sài Gòn en 1975. Son récit en dit long sur les épreuves subies par sa génération.
J’ai eu, bien entendu, envie de la connaître. Pleine d’énergie, elle a renoué avec le fil de sa vie. Je l’ai retrouvée dans sa galerie de peinture, au bas de l’ancienne rue Catinat, au-dessus de laquelle elle a aménagé, sur deux étages, son logement. Son opiniâtreté et un don pour les affaires lui ont permis de découvrir le monde, de devenir une fine connaisseuse de la peinture vietnamienne, d’en dénicher des talents, de monter une petite agence de tourisme, d’aménager des bungalows pour visiteurs à Côn Dào – l’île de l’ancien bagne de Poulo Condor –, de renouer avec sa famille en Amérique et en France. « Maintenant, m’a-t-elle dit, je peux faire des projets, ce qui est réconfortant. » Elle est passée à autre chose, comme la plupart des Vietnamiens. L’eau, aurait dit Paul Mus, après le feu.
« Hô Chí Minh l’emportera. Il est pointu comme le feu. Bao Dai est sphérique, comme la goutte d’eau », avait confié, au début des années 50, un Vietnamien au célèbre sociologue français, mort en 1967. L’eau, avait ajouté cet interlocuteur, fait tout pousser mais arroser la brousse asséchée ne fait qu’aggraver la corruption. Dans ce cas de figure, « ce qu’il faut, c’est le feu, pour nettoyer ». Ce qui ne préjuge pas de l’avenir, c’est-à-dire de débroussaillages ultérieurs. Mais, dans une même veine, les Vietnamiens savent se raidir face à l’épreuve. En des temps moins incertains, ils sont plus attirés par le symbole de l’eau que par celui du feu. Le terme vietnamien nuoc désigne indifféremment le pays ou l’eau.
Marins d’eau douce ou de rizières inondées, les Vietnamiens ont toujours souhaité assurer, sur terre, leurs arrières. Le Truong Son leur servait à la fois de point d’appui et de refuge. « Les oiseaux ont leurs nids, nous avons nos ancêtres », énonce, de son côté, le dicton populaire. Ainsi façonné, avec sa forte culture sino-confucéenne, le Viêt Nam fait figure d’appendice extrême-oriental installé en Asie du Sud-Est. Même s’il n’est pas insensible à d’autres apports, les liens du Viêt Nam avec l’ancien Empire du Milieu demeurent, comme le répète Pham Xuân Ân, une longue histoire « de lèvres et de dents. » On pourrait ajouter qu’en compagnie des Chinois, des Coréens et des Japonais, les Vietnamiens sont l’un des quatre peuples de cette planète – les héritiers de Confucius – qui manient des baguettes pour manger.
« Le Parti communiste indochinois, lors de sa création en 1930, était de culture française. Hô Chí Minh était parvenu à regrouper les factions communistes, y compris Trân Van Giao, l’œil de Moscou, et Ta Thu Thau, le trotskiste. Le Parti était sous l’influence du PC français ; celle des Russes était minime et il n’y avait pas de volonté expansionniste »,
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