Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
vietnamienne se rend à Moskva. Elle est dirigée par Truong Chinh, car le secrétaire général depuis 1956, Lê Duân vient de mourir. Ce qui attend cette délégation au Kremlin est un choc aussi grand que celui de l’attaque chinoise de 1979.
« Nous étions orphelins de mère, nous nous sommes retrouvés orphelins de père », résume Pham Xuân Ân.
Moskva, dit Gorbatchev aux délégués Vietnamiens, n’a plus les moyens de financer l’intervention militaire vietnamienne au Cambodge. L’ URSS va également réduire son aide économique. Le Viêt Nam devra se débrouiller rapidement seul. La meilleure manière d’y parvenir : se réconcilier avec la Chine, donc se retirer du Cambodge, et entreprendre des réformes économiques tout en ouvrant le Viêt Nam aux investissements occidentaux.
Le PC vietnamien est pris à contre-pied et le réveil est brutal. Truong Chinh réagit toutefois avec sang-froid. Celui qui avait été limogé pour avoir été jugé responsable des excès de la réforme agraire de 1955-1956, et qui n’est de nouveau secrétaire général qu’à titre intérimaire, fait preuve à la fois de courage et de lucidité. Dans une autocritique radiodiffusée à la mi-septembre, il dit que le PC doit « changer » et que l’occasion de « faire du neuf » doit être la tâche de son VI e Congrès, prévu en décembre. L’économie de guerre, dit-il, doit être remplacée par une économie de paix.
« Dôi moi », « Changer pour faire du neuf » – traduit en français par « renouveau » –, est le slogan de l’heure. La préparation du Congrès en est bouleversée. S’il est hors de question de remettre en cause le pouvoir absolu du Parti, il faut trouver les moyens de sa survie. L’exercice, qui revigore les luttes de clans, débouchera sur un inévitable compromis. « Dôi moi », le slogan, aura au moins pour avantage de réintroduire la notion d’économie de marché et d’ouvrir le Viêt Nam, une douzaine d’années après la victoire communiste, sur le monde extérieur. Le pays amorce ainsi sa réintégration au sein de la communauté internationale. Pour la première fois, une lueur est visible au bout du tunnel.
Pham Xuân Ân reste sceptique. En 1979, il a rejoint sa famille à Hô Chí Minh Ville. Il vit chichement. Même quand il est promu général, il refuse les avantages auxquels il a droit. Ni voiture ni chauffeur. Il circule en chevauchant une mini-Honda rafistolée dans l’ancien Sài Gòn où les deux-roues, avec ou sans moteur, dominent le pavé. Autour de lui, il voit les changements s’opérer. Même les militaires et les policiers se lancent dans les affaires. Pour Pham Xuân Ân, la sortie de l’immobilisme débouche sur la « pagaille ». Sài Gòn se développe n’importe comment. Le recours aux drogues, parmi les jeunes, devient un problème. L’instruction publique se désagrège peu à peu. Son domicile continue d’être surveillé encore quelque temps et rares sont les étrangers autorisés à lui rendre visite. La détente n’intervient que plus tard, au tournant des armées 1990.
J’ai dû attendre longtemps pour le revoir chez un ami commun, Ngô Công Duc, ancien jeune et courageux leader de l’opposition parlementaire au président Nguyên Van Thiêu. Originaire de Trà Vinh dans le delta du Mékong, Ngô Công Duc était la bête noire du Président Nguyên Van Thiêu. Sa vie étant menacée, il avait été contraint de s’enfuir en exil en 1971. « Il aurait été assassiné s’il ne l’avait pas fait », explique Pham Xuân Ân qui l’avait encouragé à partir. Ngô Công Duc avait réussi à traverser le Cambodge pour gagner la Thaïlande où il était venu, un beau matin, sonner à la porte de mon domicile à Bangkok. Dans la foulée, il avait été condamné par contumace à trois ans de travaux forcés. Cet ancien éditeur du très populaire quotidien d’opposition saigonnais Tin Sang (« Les Nouvelles du matin ») est revenu au Viêt Nam en 1975, après la victoire communiste.
En 1989, lors d’un passage à Sài Gòn, un guide officiel s’étonne que je n’en profite pas pour rencontrer Pham Xuân Ân et que ce dernier éprouve de la « déception ». C’est sa manière de m’indiquer qu’un feu vert est intervenu. Enfin, car j’ai déjà demandé à le rencontrer, mais sans succès. Nous nous retrouvons un dimanche, pour la première fois depuis 1974, dans la propriété que
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