Une histoire du Canada
officielle.
roosevelt voit juste lorsqu’il pense que King consacre beaucoup de temps à la gestion des relations entre Canadiens anglais et français.
Pendant les années 1920, King était totalement dépendant du Québec pour obtenir des majorités proportionnelles au Parlement. en 1935, son lieutenant québécois, ernest Lapointe, arrive au Parlement et au cabinet à la tête d’une forte délégation québécoise. King se fie à Lapointe et, selon les preuves disponibles, même s’il n’est pas d’accord avec les arguments de Lapointe ou peut-être qu’il ne les comprend pas, il les acceptera, si grande est sa confiance envers le jugement de son lieutenant.
Lapointe sait que certaines régions du Québec ont beaucoup souffert de la Crise et qu’il y a, dans la province, une bonne dose de ferment social et politique à l’œuvre. Les signes de l’orientation politique au Québec pointent vers la droite et non la gauche comme dans les Prairies. Homme aux penchants plutôt libéraux, Lapointe le déplore mais en vient à la conclusion que, pour maintenir un Québec relativement calme et animé d’un esprit de collaboration au sein du Canada, il doit travailler avec le Québec tel qu’il est et non tel que lui-même voudrait qu’il soit. il pressent, et King sait, que la situation internationale est instable et potentiellement très explosive.
Parmi les possibilités figure une guerre généralisée et, s’il s’en déclare une, il ne sera pas facile pour le Canada de se tenir à l’écart.
Lapointe, comme King, ne peut s’empêcher de penser sans cesse à la Grande Guerre. elle n’a pas eu bonne presse au Québec et, fait incroyable, la conscription alimente encore davantage les débats en 1935 ou 1936 qu’en 12•mondeshosTiles,1930–1945
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1917 ou 1918. de toute évidence, Lapointe craint, sans toutefois le dire ouvertement, qu’en cas de déclaration d’une nouvelle guerre, il se pourrait que le Québec refuse toute coopération ou pire encore.
au Québec, le virage à droite est loin d’être universel mais on peut malgré tout dire sans risque de se tromper que, dans les années 1930, la portion francophone de la province vit presque entièrement repliée sur elle-même, si l’on excepte les transactions d’une petite élite politique et commerciale au sommet et les contacts nombreux mais sans conséquences entre Canadiens anglais et français de la rue. dans certaines parties de la province, les anglais créent des garnisons de gestion dans des villes de société, avec leurs propres clubs, écoles et même parcours de golf, atterris dans un univers où les Canadiens français ne peuvent s’élever au-dessus du niveau d’un contremaître dans un atelier7. Westmount, la ville qui surplombe Montréal, a ses propres rêves et vit sa propre existence presque entièrement anglaise, que l’on soit socialiste ou le plus pur crin des Tories .
Les nationalistes surtout vivent dans un univers qui leur est propre.
en 1936, François Hertel évoque un « gouvernement fédéraliste à tendances protestantes ; la domination suprême d’un empire protestant ; la radio, le véhicule du protestantisme ; le cinéma, véhicule d’immoralité ; notre presse française elle-même (en majeure partie), catholique de nom seulement8 ».
Lorsqu’andré Laurendeau, un jeune Canadien français aux puissantes relations, cherche à étudier les anglais, leurs opinions et leurs habitudes, il s’aperçoit qu’il ne connaît aucun des centaines de milliers d’anglophones qui vivent à quelques kilomètres de chez lui.
Le stéréotype du Canadien français de l’époque, celui que l’on retrouve dans les ouvrages de fiction représentatifs, est quelqu’un dont on abuse, voire qu’on opprime, alors que celui des Canadiens anglais, bien que ceux-ci ne soient généralement pas malveillants, est celui de gens insensibles et indifférents. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de Canadiens français riches ou privilégiés qui sont tout sauf opprimés ou que certaines régions, comme celle de Québec, fonctionnent sans qu’il soit nécessaire de se préoccuper des anglais. il est question ici d’image de soi et cette image n’est pas celle d’une collaboration ni de sentiments de camaraderie avec la majorité anglaise du Canada.
tous les anglophones ne sont pas « anglais ». il y a aussi les Juifs.
Les Français les perçoivent comme distincts des anglais, l’antisémitisme canadien
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