Une histoire du Canada
de manière à contourner les tempêtes, en évitant les débats et (c’est sa spécialité) en enrobant les controverses d’un nuage de termes vagues12. sa formule favorite est « le Parlement décidera », expression dont ses critiques feront des gorges chaudes13. On observe ici un paradoxe : King se vante de ses racines démocratiques, à titre de petit-fils de William Lyon Mackenzie, ce tribun du peuple. Mais King connaît les caprices de l’opinion publique, ayant subi une défaite personnelle aux élections de 1911
et de nouveau à celles de 1925, et il a vu le Canada bouleversé par la haine ethnique et provinciale en 1917. Ces impressions l’ont marqué.
dans la mesure du possible, King accorde une attention toute particulière à l’opinion publique. C’est la marque de commerce d’un bon politicien que de deviner ce que les gens pensent, puisqu’il n’existe pas alors de sondages d’opinion pour façonner l’art de la politique. L’homme politique impétueux présume que, s’il a raison, le public va suivre. C’est le style de Meighen, que King méprise. au lieu de cela, le premier ministre craint avec raison ce que l’opinion publique peut dire, d’autant plus qu’il s’aperçoit de l’existence de plusieurs publics au Canada, dont les opinions sont, malheureusement, contradictoires. C’est un problème qu’il faut gérer et façonner, lentement et avec prudence, ou aussi lentement que les événements qui échappent au contrôle de King le lui permettent.
LA pOLiTiqUE cOmpLExE DE L’ApAiSEmEnT
Le temps ne suffit pas à guérir toutes les blessures entre les Canadas anglais et français. À la fin des années 1930, la situation est plus explosive qu’elle l’a été avant 1914 du côté canadien-français et un peu moins du côté canadien-anglais. Le premier présente un spectre allant d’une 312
UnE HIsTOIRE dU Canada
minuscule frange gauchiste, dénoncée par l’église et à laquelle évitent de se frotter un clan libéral modéré encore petit et une forte majorité cléricale-conservatrice, jusqu’à une autre frange située plus à droite. Le nationalisme se superpose à ce spectre mais, s’il est sans doute vrai que la droite est principalement constituée de nationalistes dans un certain sens, l’extrême droite, les partisans fascistes du Parti national social chrétien, est en réalité pancanadienne et rejoint les idées des Canadiens anglais d’extrême droite par son anti-sémitisme14.
C’est l’impérialisme qui représente le pendant canadien-anglais du nationalisme canadien-français. en l’absence de sondages d’opinion publique (les premiers sondages « scientifiques » ne font leur apparition au Canada qu’après 1939) il nous faut nous en remettre aux hypothèses posées par des observateurs, dont des hommes politiques. Ceux-ci et leur associés, les journalistes et les fonctionnaires, sont certainement convaincus que l’impérialisme se porte très bien. O.d. skelton, spécialiste en science politique de formation avant de devenir sous-secrétaire aux affaires extérieures (de 1925 à 1941), espère voir la mort résoudre le problème puisque les membres de la vieille génération décèdent, emportant avec eux leurs convictions politiques. skelton lui-même est convaincu que le Canada ne pourrait survivre à un nouvel épisode de guerre impériale similaire à la Grande Guerre mais même lui doit admettre l’importance de l’attachement britannique des Canadiens comme facteur politique.
skelton n’est pas seulement contre l’impérialisme mais aussi contre n’importe quel type d’activisme international. Certains Canadiens placent leur confiance dans la « sécurité collective » et la société des nations, vivant dans l’espoir et dans l’attente de voir les nations qui ont signé la Charte, document fondateur de la société, honorer leurs promesses de lutter ensemble contre une éventuelle agression internationale. il existe une Ligue de la société des nations, qui compte des milliers de membres cherchant à faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il fasse le bon choix et accorde son soutien à la société. aux yeux de skelton, ce regroupement est une épine dans le pied, quoique pas particulièrement dangereux. On retrouve des partisans de la Ligue au sein de tous les partis politiques fédéraux mais jamais ils ne répondront à une répartition ou une configuration qui garantisse l’allégeance à un parti
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