Une irrépressible et coupable passion

n’était ni malade, ni
contagieuse. Étant donné que ses chaussures eussent pu servir d’armes, on lui
remit des chaussons en feutre et, comme elle était la seule femme incarcérée au
pénitencier, Lewis Lawes, le directeur, lui fournit des bas en coton et des
robes d’intérieur en calicot plutôt qu’un uniforme. Trois surveillantes furent
affectées à la garde de Ruth à tour de rôle, par tranches de huit heures. Elle
avait indiqué sur un formulaire pénitentiaire qu’elle était catholique et le
père John McCaffery fut le premier visiteur entre les murs en béton de sa
cellule dotée d’un lavabo et de toilettes, d’une table et d’une chaise austères
et d’un lit boulonné au sol, garni d’un matelas rembourré de paille.
    Contacté plus tard par un journaliste qui lui demanda
comment était Mrs Snyder, McCaffery répondit :
    « Séduisante, agréable et assez cocasse. »
    On informa Ruth qu’elle aurait droit à des visites le lundi,
le mercredi et le vendredi, ainsi qu’à vingt minutes dans la cour deux fois par
jour ; que tout son courrier serait filtré et qu’elle pourrait obtenir de
quoi écrire auprès des surveillantes, mais devrait restituer le stylo une fois
qu’elle aurait terminé.
    Elle pleura et, pour la réconforter, l’aumônier catholique
lui affirma qu’il entreprendrait le directeur afin qu’on lui permît d’avoir la
poudre de riz et la crème de beauté qu’elle avait sollicitées, et elle les eut.
Elle n’était guère à plus de trente mètres de Judd, mais il eût tout aussi bien
pu être à l’autre bout du continent ; ils dormaient tous les deux dix
heures par jour.
    Judd vécut mieux le pénitencier. Même en isolement, il
pouvait deviser de l’actualité avec les prisonniers à portée de voix, lire la
Bible à d’autres, indiquer ses coups en chiffre pour une partie de dames,
consulter l’aumônier protestant, le pasteur Anthony Peterson, au sujet de ses
préoccupations religieuses et se maintenir en forme en jouant au handball
américain, une sorte de variante de la pelote, dans la cour avec ledit
ministre. Il souhaitait bonne nuit chaque soir au meurtrier de la cellule
voisine et le saluait d’un bonjour chaque matin. Le détenu, un criminel endurci
qui avait tué le propriétaire d’une boutique de glaces, devait qualifier Judd
de « sacré brave type ».
    Tous les jours, Judd se consacrait à sa volumineuse
correspondance avec Samuel Miller, son avocat, devenu un ami proche,
Mrs Margaret Gray, Jane, Isabel, Haddon Jones et d’autres camarades de
classe du lycée, ainsi que des membres de son country-club du New Jersey, de sa
loge de l’Elks Club ou du Club des représentants en gaines de l’Empire State.
Le 2 juin, son épouse vint le voir pour la première fois depuis son
arrestation. Elle ne devait revenir qu’à deux autres reprises. Tard la nuit,
cet automne-là, il commença aussi à rédiger au crayon Doomed Ship, ses
mémoires dédiés à « Ma fidèle petite mère » et édités par sa sœur,
qui seraient publiés sous forme de feuilleton par l’entremise de l’agence de
presse Famous Features Syndicate, puis, quelques mois après la mort de Judd,
par l’éditeur Horace Liveright Company. Judd y écrivait : « Je ne
peux pas expliquer le mystère de la renaissance en Jésus-Christ. Je peux
seulement vous parler de cette paix qui dépasse l’entendement. Peut-être
m’objecterez-vous : comment un meurtrier peut-il espérer entrer au
paradis – quelqu’un comme moi ? Rien que par la foi. Je suis un être
différent – un nouveau-né. »
     
    En 1927, Philo Farnsworth procéda à la première transmission
expérimentale d’images électroniques télévisées, l’Académie des arts et des
sciences du cinéma fut fondée, l’aviateur Charles Lindbergh effectua le premier
vol transatlantique sans escale et en solitaire entre New York et Paris à bord
du Spirit of St Louis et on organisa en son honneur une énorme parade
sous une pluie de confettis le long de la 5 e  Avenue. Ce fut
l’année de la création de la British Broadcasting Corporation et de CBS. Le
président Calvin Coolidge annonça qu’il ne briguerait pas un second mandat, les
anarchistes italiens Sacco et Vanzetti furent exécutés pour meurtre, le premier
film parlant, Le Chanteur de jazz, sortit en salles, les Yankees de New
York et leur Murderers’ Row, leur équipe de tueurs comprenant les
légendaires Babe Ruth et Lou Gehrig,