Une irrépressible et coupable passion
revenir sur la flasque empoisonnée découverte sur Judd lors de
son arrestation. Selon l’avocat, Ruth espérait que, dans son ébriété, Judd
boirait le poison cette nuit-là et mourrait dans la maison, de sorte que le
crime serait interprété comme un meurtre suivi d’un suicide. Elle n’aurait pas
eu à mettre son intérieur sens dessus dessous ni à dissimuler quoi que ce
fut ; quelques petits mensonges auraient suffi, au lieu de la flopée
qu’elle avait accumulée.
Dana Wallace se chargea de la dernière plaidoirie en faveur
de sa cliente et souligna galamment que Mrs Snyder était une damoiselle
coincée entre deux accusateurs (le bureau du procureur et les défenseurs du
coaccusé) « dans l’une des positions les plus injustes qui se puisse
devant un tribunal américain ». Fixant Judd avec mépris, Wallace
s’indigna : « On permet à ce misérable rebut de l’humanité de geindre
et d’implorer grâce, caché derrière les jupons d’une femme dans l’espoir de
vous abuser. » Il devait encore ajouter « suppôt de Satan »,
« faible d’esprit », « vile créature »,
« falsificateur » et « anaconda humain » à sa liste de
qualificatifs. Mais Judd se contenta de regarder droit devant lui, pendant que
Wallace s’accordait trois heures de plus que Millard pour répéter, réitérer et
marteler chacun des points que l’avocat de Judd avait invoqués pour défendre
son client, mais en modifiant les faits afin de présenter Ruth, et non Judd,
comme la victime désarmée et subjuguée entichée d’un criminel manipulateur.
Sa défense ne correspondait ni aux antécédents familiaux du
couple, ni aux personnalités que Ruth et Judd avaient si éloquemment exhibées
dans la presse et durant les audiences. Et Wallace fit preuve d’un tel excès
dans ses démonstrations – allant jusqu’à ôter son veston et à se masser
l’épaule pour imiter Judd étalant de la crème sur les coups de soleil de
Ruth – que l’assistance hostile dans la salle surchauffée se gaussa de
lui.
« Vos ricanements attestent d’âmes vacantes, cria-t-il
au public. Des gens comme vous ne devraient pas avoir le droit de juger une
femme sans défense. »
À aucun moment les avocats de l’un ou l’autre des accusés ne
mirent en cause le tempérament d’Albert ou ne cherchèrent à disculper leur
client en insinuant que le défunt méritait un châtiment aussi extrême et
définitif.
Le procureur Richard Newcombe récapitula avec la plus grande
brièveté les arguments de l’accusation à l’encontre de Mrs Snyder et
Mr Gray. Peu importait, fit-il remarquer, qui avait élaboré le plan ou qui
avait commis le meurtre dans les faits. Les deux accusés étaient
inextricablement impliqués à part égale. Même l’alcoolisme de Judd ne
constituait pas une excuse suffisante tant chacune de ses actions semblait
avoir été accomplie avec lucidité et encore présente à son esprit. Quant à
Mrs Snyder, rappela Newcombe aux jurés, elle s’était cramponnée à une
première version des faits pendant seize heures avant d’annoncer au commissaire
George McLaughlin qu’elle n’en pouvait plus de mentir. Elle avait alors procédé
à des aveux dans lesquels elle avait omis de parler des circonstances
atténuantes qu’elle venait de signaler en salle d’audience où, sous serment, à
la barre, elle avait proposé une troisième variante – celle qu’elle
désirait en l’occurrence faire croire au jury.
« Messieurs les jurés, elle s’est comportée comme une
bête sauvage dans la jungle, tapie là, épiant son époux endormi, dans l’attente
d’une chance de passer à l’attaque avec le concours d’Henry Judd Gray. Et c’est
ensemble qu’ils sont entrés dans la chambre et ont commis de sang-froid ce
meurtre atroce. Frappé à la tête, Albert Snyder s’est redressé et qui a-t-il
vu, s’efforçant de le tuer ? Sa propre femme et l’amant de celle-ci.
Grands Dieux, messieurs, songez aux pensées de cet homme : sa propre femme
et l’amant de celle-ci, en train de l’assassiner. »
Peu après cinq heures, par cette chaude après-midi, le jury
se retira dans une pièce où les douze jurés se débarrassèrent de leurs vestes,
relevèrent les fenêtres pour avoir de l’air et parcoururent les explications du
juge concernant la gradation des homicides. Le premier scrutin eut pour
résultat dix voix en faveur du verdict de meurtre avec préméditation, et
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