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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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adressa à sa secrétaire, puis déchira le chèque. Et il se
surprit à s’attarder sur ce : « Ça a été un grand plaisir de faire
votre connaissance et j’espère que nous nous reverrons. »
     
    En juillet, pour les vacances d’été, Albert Snyder loua sur
Shelter Island une saltbox grise, c’est-à-dire une maison coloniale en
bois, au long toit en pente à l’arrière, ainsi qu’un élégant yawl à deux mâts.
Un collègue de Motor Boating lui avait dégotté un mouillage au Shelter
Island Yacht Club de Chequit Point et, lorsqu’il n’était pas en mer sur le
yawl, Albert ne tarda pas à devenir un habitué enthousiaste du club, sirotant
des whisky-soda, affalé avec ses nouveaux amis dans des rocking-chairs trapus
en osier sur les vérandas qui donnaient sur Dering Harbor, acceptant de bon gré
les invitations à des parties de pêche en haute mer ou les virées en tant que
second sur d’autres bateaux et allant jusqu’à accepter de participer à la
régate d’août avec son yawl.
    Ruth et Lora restaient, elles, entre filles, à pêcher clams
et autres coquillages, à lire ensemble des livres pour enfants dans le fauteuil
Adirondack sous le sapin du Canada à l’ombre abondante ou à chercher des plages
à l’écart, où elles pouvaient nager seules dans leurs maillots et leurs
charlottes Jantzen identiques, jusqu’à ce que le tricot de laine noire, trop
lourd, les gênât dans leurs mouvements et qu’elles se laissassent choir sur la
plage chaude comme du pain grillé pour se sécher au soleil et rire aux éclats
en déclamant des comptines en charabia.
    Le soir, quand Albert rentrait à la maison, ils dînaient
tous trois dehors, au frais, d’épis de maïs et de filets de poissons qu’il
avait péchés, grillés au barbecue. Et lorsque Ruth le voyait rire avec Lora,
dans son pantalon de flanelle et ses mocassins de bateau Top-Sider blancs,
yachtman jusqu’au bout des ongles, viril et fringant, d’une compagnie si
amusante, elle avait le sentiment de pouvoir retomber amoureuse de lui.
    Le 24 juillet 1925, elle dénicha une baby-sitter pour
sa fille, et Albert et elle fêtèrent leur dixième anniversaire de mariage dans
un night-club de North Ferry Road. Ruth offrit à Albert des jumelles à prismes
Shutz ; il lui offrit un sac de soirée en soie agrémenté de fleurs en
perles et accompagné d’un poudrier coordonné. Elle l’embrassa et lui dit qu’il
avait excellent goût ; il acquiesça. Albert était en smoking blanc et il
buvait des martinis concoctés selon la formule en vigueur dans les années
vingt – moitié gin, moitié Martini ; à peine avait-il fini son verre
qu’il dissimulait ses bouteilles aux yeux des autres clients et des serveurs
pour s’en confectionner un autre. Comme il était sourd de l’oreille droite,
elle était assise à sa gauche, mais il y avait malgré tout des fois où il ne
paraissait pas l’entendre. Ruth releva une fois de plus que ses tempes se
dégarnissaient et qu’il était à l’étroit dans sa veste – non qu’il fût
gros, mais parce qu’il avait les larges épaules et le torse de footballeur
américain d’un homme qui eût mesuré quinze centimètres de plus. L’orchestre
jouait des morceaux popularisés par le Paul Whiteman Orchestra : Rhapsody
in Blue, Somebody Loves Me, Linger a While. Ruth avait envie de danser,
Albert non. Le soleil, qui l’avait bronzé, l’avait aussi lessivé. Pour meubler
le silence, elle mentionna une amie qu’elle venait de se faire sur l’île et
dont le mari, un agent de change de Wall Street, prendrait lui aussi part à la
régate avec un ketch exactement comme le leur. Albert redressa la tête.
    « Mais, Ruth, c’est impossible, allons. »
    Et du ton excessivement calme et supérieur qu’il employait
toujours pour ses explications, il exposa :
    « Un ketch ne saurait être comme un yawl, car ils
diffèrent. Un ketch est un voilier pourvu d’un grand mât identique, certes, tu
as tout à fait raison de le remarquer, mais dont le mât d’artimon, à l’arrière,
est emplanté à l’avant de la barre. Le mât d’artimon d’un yawl est emplanté
derrière la mèche de safran.
    — Blablabla », ironisa Ruth.
    Albert leva son martini.
    « Mais comment pourrais-je escompter que tu saches ce
genre de choses, alors que tu t’intéresses si peu à mes hobbies ?
    — Ah, ce sont des hobbies ? Je croyais qu’il
s’agissait uniquement de prétextes pour me crier

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