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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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Judd s’appliquaient avec minutie à
dissimuler leurs activités. Afin de protéger leur correspondance abondante,
voire compulsive, Ruth préconisa à Judd de lui écrire au drugstore Spindler
dans le Queens et enjoignit à George Marks, son facteur habituel, de lui
remettre exclusivement en main propre les factures de téléphone et les lettres
adressées à Mrs Jane Gray.
    Judd chercha à travestir son identité, délaissant la méthode
d’écriture Palmer, de plus en plus en vogue dans le milieu des affaires, au
profit du style Zaner-Bloser, plus arrondi, qu’il avait appris enfant. Il avait
fourni à Ruth le programme de sa tournée d’automne dans l’est de la
Pennsylvanie et le nord de l’État de New York, ainsi que l’adresse de chaque
hôtel, et souvent, quand il se présentait à l’accueil, un paquet de lettres
l’attendait.
    « On dirait que quelqu’un en pince pour vous, commenta
un jour une réceptionniste.
    — Nous sommes juste bons amis », mentit-il
inutilement.
    Mais il écrivit aussi à Ruth : « Ce matin encore,
je me suis agenouillé à côté de mon lit et j’ai juré fidélité à mon épouse, en
me promettant de ne plus jamais avoir de contacts avec toi. J’ai récité le
Notre-Père à cause de sa supplique finale sur la tentation et je me suis senti
maître de la situation. Mais à la lecture de ta dernière lettre parfumée, je me
suis senti si proche de toi que j’ai été pris dans un tourbillon d’émotions qui
balaie toute raison, toute quête d’honneur et d’intégrité. Que d’autres le
jugent honteux et scandaleux, un amour aussi formidable que le nôtre ne saurait
être répréhensible. Tu m’es aussi vitale que le souffle. »
    Ruth, elle, était en général d’humeur badine dans ses
lettres, pleines de passion et de mots doux, mais également de brefs comptes
rendus des films qu’elle avait vus et de digressions sur le détail de ses
journées, en argot à la mode ou sous forme de parodies d’accents étrangers.
Mais dans une missive plus terre à terre, elle se plaignit aussi qu’Albert
était seulement assuré sur la vie à hauteur de mille dollars. Était-ce
suffisant ?
    Judd répondit que « les assurances-vie sont un bon
investissement pour un père de famille ». Puis, avec la balourdise du
Babbitt de Sinclair Lewis, Judd détailla le patrimoine dont Isabel hériterait
s’« il venait à m’arriver quelque chose ». Son épouse serait la
bénéficiaire d’environ six mille dollars en titres et en actions, de l’actif
net du 37 Wayne Avenue et d’une indemnité de vingt-cinq mille dollars
versée par l’Union Life Insurance Company de Cincinnati. Jane et Isabel
seraient à l’abri. Ruth devait en exiger autant.
     
    Par conséquent, durant la deuxième semaine de novembre 1925,
Ruth invita au domicile conjugal Mr Leroy Ashfield, agent d’assurances de
la Prudential Life Insurance Company. C’était un garçon grassouillet d’une
vingtaine d’années, au visage arrondi et au pantalon trop court laissant
entrevoir ses sous-vêtements longs ; ses joues étaient marbrées de rouge
par les premiers froids.
    Assis sur un tabouret dans le solarium, sirotant une chope
de Pilsner devant son chevalet, Albert exécutait une huile assez réussie –
une déferlante blanc zinc rejaillissant dans une brume d’embruns sur les récifs
d’une côte presque entièrement terre de Sienne, sous un ciel rose saumon –
quand Ruth, une main sur le nez à cause de la térébenthine, lui présenta
l’agent d’assurance. Ignorant la main tendue d’Ashfield, Albert se contenta de
tremper son pinceau en poils de martre dans l’huile de lin, avant de mélanger
trois couleurs sur sa palette.
    « Vous m’interrompez, ronchonna-t-il.
    — Il a horreur de ça », glosa Ruth.
    Elle loucha et Ashfield pouffa. Albert laissa retomber ses
mains sur ses genoux et darda un regard glacial sur l’agent d’assurance.
    « Quoi ? »
    Écourtant son argumentaire, Ashfield débita
nerveusement :
    « Vous êtes le souscripteur d’un contrat
d’assurance-vie d’une valeur de mille dollars dont l’échéance approche et
pourtant, vous gagnez plus de cinq mille dollars par an. »
    Albert tourna son regard vers Ruth.
    « C’est elle qui vous a raconté ça ?
    — Si vous veniez à mourir, même si j’espère que ça ne
se produira jamais, votre famille se retrouverait sans le sou en quelques mois,
poursuivit Ashfield, plongeant la main dans sa

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