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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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Ruth
n’apercevait que son pantalon kaki taché de cambouis et ses bottines à boutons.
    Elle lui tapota la cheville gauche du pied droit.
    « Al ?
    — Quoi ?
    — Je t’ai apporté du whisky, à cause du froid. »
    Les roulettes du chariot crissèrent sur le béton lorsque
Albert s’extirpa de dessous la Buick, et il plissa le front, surpris par la
généreuse offrande que Ruth lui présentait à deux mains. Il s’assit, accepta le
whisky de son épouse, en avala une gorgée et toussa.
    « Merci.
    — Qu’est-ce que tu fabriques ? »
    Albert s’accorda un sourire qui n’en était pas un, aussi
effilé qu’un couteau de poissonnier.
    « Je pourrais te l’expliquer en détail, Rut’, mais tu
ne comprendrais toujours pas.
    — C’était juste pour faire la conversation. »
    Albert jeta un coup d’œil à la neige qui, sous l’effet de la
température, fondait sur les couvre-chaussures de Ruth et dégoulinait par
terre.
    « Tu me cochonnes le sol. Tu aurais dû taper tes pieds
avant d’entrer.
    — Je vais le faire avant de sortir », répliqua-t-elle,
joignant le geste à la parole.
    Albert secoua la tête avec contrariété, posa son verre sur
un enjoliveur, se rallongea sur le chariot de garagiste et se glissa à nouveau
sous la Buick. Il pointa le faisceau de sa torche électrique sur le maître-cylindre
et suivit lentement la tubulure d’huile du frein hydraulique jusqu’au tambour
de la roue avant gauche. Il lui sembla déceler le problème et passa
délicatement un doigt le long du tuyau jusqu’à ce qu’il perçût une fissure dans
le cuivre, en même temps qu’un courant d’air froid, comme si son épouse n’avait
pas bien refermé la porte. Puis, sans raison apparente, le cric ripa bruyamment
sur le béton et la Buick s’effondra sur le tambour de frein avant gauche, de
sorte qu’Albert se retrouva avec les pieds et les chevilles dépassant de sous
la voiture, mais les tibias meurtris et la poitrine comprimée par la masse du
véhicule.
    « Rut’ ! s’écria-t-il. Au secours, Rut’ ! Je
suis coincé ! Rut’, aide-moi à sortir de là ! »
    Si elle était à la cuisine, il était possible qu’elle
l’entendît, mais elle eût tout aussi bien pu être n’importe où dans la maison.
Albert déplaça son torse de quelques centimètres sous la transmission, reprit
son souffle et appela jusqu’à ce qu’il n’en pût plus de hurler. Puis il réussit
à tourner la tête et considéra les couvre-chaussures en gutta-percha plantés à
côté du cric à terre, comme si son épouse observait la scène depuis un moment.
Cette fois-là, il s’appliqua sur la prononciation de son prénom :
    « Ruth ? »
    Elle hésita avant de s’avancer.
    « Tu vas bien ? s’enquit-elle.
    — Je suis seulement bloqué. Soulève la voiture avec le
cric. »
    Elle se mit à quatre pattes et sourit de sa fureur.
    « On dit “s’il te plaît”… »
     
    Le lendemain matin, Lorraine et sa mère firent des emplettes
à l’énorme magasin Macy’s de Herald Square, où Ruth dépensa dix-sept dollars
dans un manteau rouge en laine pour sa fille, ainsi qu’un bonnet assorti pour
l’hiver.
    « Ça va rendre ton papa chèvre, confia-t-elle à
Lorraine, mais ce ne sera pas la première fois. »
    Puis elle téléphona chez Benjamin & Johnes et
invita Judd à se joindre à elles au Henry’s pour le déjeuner.
    Son pardessus en poil de chameau fumait de froid lorsque
Judd retira son chapeau en tweed et s’attabla avec enthousiasme, Lorraine à sa
droite, Ruth à sa gauche. Il tendit à la fillette une boîte qu’il n’avait pas
eu le temps d’emballer et, quand elle souleva le couvercle, Lorraine découvrit
à l’intérieur un tablier d’enfant rose.
    « Ce qu’il est joli ! » s’exclama-t-elle,
tellement émue qu’elle en écrasa une larme.
    Ruth eut un sourire.
    « Elle aime beaucoup.
    — Oh oui ! confirma Lora. Merci
Mr Gray !
    — Tout le plaisir est pour moi, assura Judd avant de se
tourner vers Ruth. On est le 16 novembre. »
    Elle se creusa la tête, puis se souvint :
    « Oh. C’est votre anniversaire de mariage.
    — Le dixième. »
    Ils conversèrent en silence, du fait de la présence de Lora,
puis Ruth demanda :
    « Alors qu’avez-vous prévu pour ce soir ?
    — J’ai réservé au Claridge’s pour le dîner. Puis nous
irons voir Dearest Enemy au Knickerbocker Theatre. Rodgers et Hart. Leur
nouveau spectacle, après les Garrick

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