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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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de coquille et la mélangea avec du blanc d’œuf, de la farine, de la
ciboulette, du poivre de Cayenne et du gros sel, avant de confectionner huit
galettes qu’elle mit au Frigidaire avec le vin. Après quoi elle monta se
changer dans sa chambre pendant que Mrs Brown mettait la table dans la
salle à manger.
    Judd prit le Long Island Rail Road de Pennsylvania Station à
Jamaica, puis un taxi jusqu’à la maison jaune crème à boiseries vertes au coin
de la 222 e  Rue et de la 93 e  Allée. Et il
descendait tout juste quand il avisa Ruth qui, depuis la porte de devant,
s’élançait vers lui, uniquement vêtue d’une robe d’intérieur bleu marine, en
dépit du froid mordant.
    « Oh, ce que je suis heureuse ! »
s’exclama-t-elle avec un grand sourire.
    Elle l’étreignit, déplorant de ne pouvoir se laisser aller
davantage, à cause des voisins. Elle glissa un bras sous celui de Judd et ils
se dirigèrent vers le porche colonial blanc. Ruth désigna le garage une place à
leur droite et commenta :
    « Le jardin était plus grand avant, mais Albert avait
besoin d’une infirmerie pour son auto, alors il l’a achetée par correspondance
chez Sears Roebuck, en pièces détachées, et l’a construite lui-même. Il aime se
servir de ses mains, et pas que pour me cogner. »
    Plaisantait-elle ? Judd allait lui poser la question
quand la porte d’entrée s’ouvrit sur une Mrs Brown austère mais
accueillante qui s’écria :
    «  Välkommen !, bienvenue ! »
    Judd ôta ses gants gris en daim pour lui serrer la main et
elle déclara cérémonieusement :
    « May a beaucoup parlé de vous et de vos dons de
danseur. »
    Elle alla suspendre le pardessus et le chapeau de Judd dans
la penderie de l’entrée et l’on échangea des généralités sur le métier de Judd
et le temps en ce mois de janvier.
    « Vous n’êtes pas très grand, dites, nota Josephine
avec franchise.
    — Oh, je réussis à peu près à atteindre ce que je
veux. »
    Elle laissa s’écouler un peu plus de temps que nécessaire.
    « Êtes-vous du genre à vouloir ce qui est hors de
portée ? »
    Judd eut le sentiment d’être un voleur. Était-ce ce dont
elle l’accusait ?
    « Euh, non, se défendit-il. En général, tout me tombe
dans le bec. »
    Elle le jaugea un moment, puis lui confia en aparté :
    « May doit faire attention à ne pas éveiller la
jalousie de Monsieur avec vous. »
    Judd chercha à changer de sujet et lui demanda à quel âge
elle avait appris l’anglais.
    « Seize ans. »
    Elle s’exprimait avec la cadence métronomique du suédois et
ses « t » avaient un côté emprunté, mais Judd affirma :
    « On n’a aucun mal à vous comprendre.
    —  Tack, merci », lâcha-t-elle avec hauteur.
    Elle s’enquit des origines de Judd et il lui répondit
« anglaises » – ses aïeux avaient débarqué du Mary and John dans
le Connecticut, en 1630. Elle digéra l’information, puis reprit :
    « Alors, vous êtes d’une famille d’aristocrates ?
    — Nous sommes bien installés, c’est tout. »
    Elle l’autorisa à l’appeler « bonne-maman », comme
Lora et Albert.
    Il n’en fit rien et s’en tint à « Josephine ».
Elle portait des lunettes rondes sévères et avait soixante ans, le même âge que
la mère de Judd, même si elle prétendit avoir quatre années de moins lorsqu’ils
accédèrent tous à la célébrité. Elle l’abandonna et Judd plaqua une mélodie
enfantine sur le piano mécanique, puis alluma une cigarette et, livré à
lui-même, s’installa dans un fauteuil à fleurs en chintz. Sur la table basse,
il remarqua une brochure dont il lut la couverture à l’envers : La
Maison moderne : comment tirer parti de domestiques mécaniques. Une
bible neuve, Les Règles de l’étiquette d’Emily Post, la célèbre apôtre
américaine des bonnes manières, et Esquisse de l’histoire universelle de
H. G. Wells formaient une étrange famille de lectures sur une étagère. Et
Josephine était apparemment plongée dans McCall’s, un magazine féminin,
quand Judd était arrivé. Il parcourut le sommaire, découvrit un article sur
l’incompatibilité du « mari casanier et de l’épouse “prêt à
emporter” » et il tournait les pages pour y jeter un coup d’œil quand Ruth
l’invita à la rejoindre à la cuisine.
    La pièce avait l’impeccable propreté d’hôpital que Judd
associait à la Scandinavie : sol en linoléum ciré, carreaux

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