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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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d’épaules.
    De crainte de paraître impatiente, Ruth se dirigea vers le
téléphone de la cuisine avec une lenteur délibérée.
    Ce fut Mrs Kallenbach qui lui répondit. Judd lisait le Saturday
Evening Post quand il entendit sa belle-mère énoncer :
« Allô ? » Puis : « Oui, il est là. » Et il se
levait de son fauteuil mauve en mohair quand Mrs Kallenbach
proclama :
    « Bud ? Votre secrétaire. »
    Cet indice qu’il s’agissait de Ruth le fit hésiter. Elle ne
lui avait jamais téléphoné chez lui. Et rarement au bureau. Judd accepta
l’écouteur que lui tendait Mrs K. avec un « Merci », dans
l’espoir qu’elle le laisserait seul, mais elle demeura à la cuisine et
s’affaira à ranger pour espionner. Judd se pencha vers le pavillon du téléphone
accroché au mur et déclara :
    « Bonsoir, Rachel. Qu’y a-t-il ?
    — Tu voudrais bien venir déjeuner chez moi
demain ? » proposa Ruth.
    Judd formula sa réponse en tenant compte de Mrs K.
    « Qui sera présent ?
    — Rien que ma mère et moi. Oh, je t’en prie, tu veux
bien ?
    — Ça m’irait, annonça-t-il, en surveillant son ton.
    — Oh, ce que je suis excitée ! Une heure. C’est
Isabel qui a décroché ?
    — Non, ma belle-mère.
    — Elle t’écoute, là ?
    — Oui.
    — J’aurais voulu que tu me dises que tu m’aimes.
    — C’est le cas, assura Judd, d’une voix monocorde.
    — Tu veux que je t’explique comment venir ?
    — Je me débrouillerai. À demain.
    — J’ai une de ces envies de toi », susurra-t-elle.
    Judd rougit et raccrocha l’écouteur. Mrs K. fronça les
sourcils.
    « Des acheteurs en ville pour la collection de
printemps, exposa Judd. Je dois déjeuner avec eux.
    — Elle semble jolie. »
    Mrs K. savait que Rachel ne l’était pas.
    « Oh, ce n’était pas Rachel. Il y a quelqu’un qui la
remplace.
    — Mais vous l’avez appelée comme ça.
    — Elle m’a corrigé. C’est fréquent, avec les
femmes », ironisa-t-il.
     
    Ce lundi-là, au sous-sol, tandis que Josephine Brown
soulevait le couvercle de la machine à laver, Ruth plongea un manche à balai
dans l’eau brûlante pour en extraire une lourde masse de serviettes que sa mère
introduisit dans l’essoreuse électrique et dont un torrent d’eau savonneuse se
déversa jusqu’à la cuve afin de resservir pour la lessive suivante. Ni Ruth ni
Josephine ne parlaient. Comme il faisait bien trop froid pour étendre quoi que
ce fût dans le jardin, Ruth suspendit les affaires essorées aux cordes à linge
blanches qu’Albert avait tendues entre les poutres du plafond. Elle avait déjà
accroché avec des pinces les chemises de soirée et la « lingerie » de
son mari, comme disait Mrs Brown. Elles lavaient toujours en premier les
blancs d’Albert, suivis des couleurs de Josephine et Lora. Après quoi, elles
renouvelaient l’eau bouillante et le savon pour le linge de maison. Ruth, pour
sa part, portait ses vêtements chez un blanchisseur chinois de Springfield
Boulevard ou les lavait à la main dans le lavabo de la salle de bains, à
l’étage, avant de les rincer avec une bouilloire, au vinaigre et à l’eau
chaude.
    Une fois le contenu de la panière mis à sécher, elle remonta
pour cirer les meubles, passer l’aspirateur et disposer des cendriers Tiffany
aux endroits où Judd était susceptible de s’asseoir. Ruth était une ménagère
tout aussi pointilleuse qu’Isabel, qui tirait fierté de sa cuisine et préparait
même des bocaux chaque été, mais elle savait que Judd ne l’avait jamais vue
ainsi. Elle n’était à ses yeux qu’une délurée avec qui il prenait du bon temps,
sa partenaire sexuelle du Waldorf. Lui, en revanche, il était né pour faire un
bon époux.
    Elle n’avait pas encore appris à conduire, aussi, bien que
la Buick d’Albert fut au garage, fit-elle venir un taxi jaune qui l’emmena
jusqu’à Jamaica Avenue et patienta pendant qu’elle achetait une livre de chair
de crabe à la poissonnerie. Le taxi attendit ensuite au ralenti devant la
papeterie tandis que Ruth furetait dans la réserve, parmi les vins de
contrebande, où elle dégotta un sauvignon blanc de Bordeaux. Puis elle retira
de l’argent sur le compte secret de « Ruth M. Brown » à la
Queens-Bellaire Bank et régla en main propre, auprès de Leroy Ashfield, les
primes hebdomadaires des assurances-vie Prudential d’Albert.
    De retour chez elle, elle débarrassa la chair de crabe des
fragments

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