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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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tout à fait habillée, mais elle lui servit du café et une part de
tarte toute chaude, préparée avec des pommes en bocal. Puis, comme chaque fois,
elle se contenta de le regarder manger. Elle lui avoua qu’elle ne savait pas si
elle referait des conserves de fruits et de légumes l’été suivant. C’était bien
éprouvant pour ses bras et ses mains. Elle se demandait s’il dormait assez.
Avait-il maigri ? Bud lui semblait tout morose, il avait l’air tracassé. Enfin,
elle ne voyait pas l’intérêt qu’il lui rendît visite s’il n’avait pas envie de
bavarder. Oh, non, elle n’avait pas de courses ni de menus travaux à faire.
    « File, passe une agréable après-midi avec ta petite,
préconisa Margaret Gray. Son papa doit lui manquer, je parie. »
    En tant que sénateur de l’État, avant de devenir maire de
New York, Jimmy Walker avait fait voter une loi autorisant la fréquentation des
cinémas et des théâtres ainsi que les événements sportifs publics le dimanche
après-midi, et Judd emmena donc sa fille à l’Orpheum Theatre pour assister à la
matinée du Monde perdu.
    « Tu as déjà entendu parler de Sherlock Holmes, le
célèbre limier anglais ? » demanda-t-il à Jane, pendant qu’il
achetait les billets.
    Elle hocha la tête, dubitative.
    « Eh bien, le film que nous allons voir est tiré d’un
roman de Sir Arthur Conan Doyle. »
    Jane eut une expression perplexe.
    « Sir Arthur Conan Doyle est le créateur de Sherlock
Holmes.
    — Ah, lâcha-t-elle avec déception. C’est un film
policier ?
    — Non, de la science-fiction.
    — Je hais la science.
    — N’emploie pas le verbe “haïr” à la légère. »
    Judd guida sa fille à l’intérieur du cinéma, puis, comme
elle n’aimait pas les sièges qu’il avait choisis, ils changèrent de place.
    « Où est-ce que les généraux camouflent leurs
troupes ? » la questionna-t-il, cherchant à la faire sourire.
    Jane soupira.
    « Je te l’ai déjà racontée ?
    — Dans le fond de leur tanpalon ? » rétorqua
Jane, ostensiblement blasée.
    « On lui a empoisonné l’esprit », pensa Judd, à court
de mots. Mais il passa plus d’une demi-heure à épier sa fille pendant le film,
ravi de la façon dont les fulgurances sur l’écran embrasaient ses yeux
écarquillés et de sa frayeur à la vue des dinosaures déchaînés, au point qu’à
un moment, elle se cramponna à la main de son père et se recroquevilla contre
lui, la frimousse à demi enfouie dans la manche du pardessus paternel. Mais,
trop vite, la scène prit fin et Jane se redressa, puis ôta froidement sa main
de celle de Judd, exactement comme l’eût fait Isabel.
     
    Ce fut en pensant à Judd que Ruth acheva la vaisselle du
dimanche soir, et en pensant à Judd encore qu’elle donna un coup de torchon sur
l’émail blanc de la cuisinière, le Frigidaire ronronnant et le plan de travail
en érable café au lait, avant de jeter le chiffon humide dans la descente de
linge. Elle se sentait intoxiquée par Judd, prête à tout pour lui, et
lorsqu’elle entendit Albert siffloter dans son atelier au sous-sol, elle en fut
si horripilée qu’elle se plaqua les mains sur les oreilles et fuit vers
l’entrée.
    «  Moder  ? » lança-t-elle en suédois,
sans parvenir à se calmer.
    À l’étage, Josephine Brown aidait Lora à mémoriser ses
tables de multiplication. Elle sortit dans le couloir et adressa un regard
interrogatif à sa fille.
    « Que dirais-tu d’organiser un déjeuner ici
demain ?
    — Avec un invité, tu veux dire ? »
    L’estomac noué, Ruth se façonna un sourire.
    « Cet hiver est tellement triste.
    — Mais enfin, May, c’est le jour de la
lessive ! » lui opposa sa mère avec gravité.
    Prête à défaillir, Ruth se cramponna à la rampe de
l’escalier. Elle était éperdue d’amour et redoutait de se mettre à hurler ou de
fondre en larmes.
    « Nous pouvons tout terminer dans la matinée,
affirma-t-elle, tremblante. Il n’y en a pas tant que ça. Je cuisinerai.
    —  Vilken ? Qui ? s’enquit Josephine,
revenant au suédois.
    — Mon ami, Mr Gray… Le représentant de Bien
Jolie  ? Le bébé l’a déjà vu. »
    Lorraine, qui tendait l’oreille, confirma :
    « Oui. Il est gentil.
    — Encore un de tes bonshommes ? se renseigna
Josephine.
    — Maman, il vend de la lingerie, répliqua Ruth, d’un
ton lourd de sous-entendus.
    —  Fint, d’accord », acquiesça Josephine
avec un haussement

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