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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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étincelants
blancs comme neige, réfrigérateur et cuisinière à gaz blancs émaillés – le
dernier chic –, mis en valeur par des rideaux et des ustensiles ajoutant
de jolies touches bleu de Delft.
    « Ça doit réclamer des efforts sans fin pour maintenir
tout ça dans un état aussi immaculé.
    — Oh, ce ne sont pas des efforts, protesta Ruth. Nous
adorons frotter et récurer pour tout faire briller, pas vrai, maman ?
    — L’oisiveté est la mère de tous les vices, acquiesça
Josephine, en déposant les galettes de crabe dans une poêle. Je vais finir la
cuisine, Maisie. Montre donc la maison à ton ami. »
    Ruth descendit au sous-sol et exhiba fièrement à Judd les
rangées de gros bocaux superposés remplis de conserves de fruits et de légumes
qu’elle avait préparés en août.
    « Au cas où tu ne t’en serais pas aperçu, expliqua
Ruth, cette partie de la visite montre comme je suis une bonne épouse. »
    Mais les chemises et les slips d’Albert, semblables à des
étendards sur les cordes à linge, lui disputaient l’attention de Judd, de même
que, sur la gauche, l’établi du maître de maison et ses outils méthodiquement
classés, sa citerne en verre de moût en pleine fermentation et son affiche de
Josephine Baker nue, en train de danser aux Folies-Bergère. Résistant à la
présence fantomatique du mari de Ruth, Judd se coula derrière elle pour
l’embrasser dans le cou, tandis qu’elle lui saisissait les mains et les
plaquait sur ses seins. Elle sentit son érection et souffla :
    « Nous ferions mieux de ne pas commencer. »
    Elle lui prit la main droite pour remonter et l’entraîna
jusqu’à la salle à manger reluisante. Elle leva une cuillère en argent
rutilant.
    « Argenterie Chambly, de France, indiqua-t-elle, non
sans vanité, avant d’effleurer du doigt un verre à vin en cristal. Et ça,
Baccarat.
    — Magnifique, opina Judd.
    — Le vase, sur le buffet, est un Lalique. »
    Josephine l’entendit et précisa depuis la cuisine :
    « Mais elle est aussi économe ! C’est May
elle-même qui a cousu toutes les tentures et les rideaux !
    — J’étais sûr qu’elle était habile de ses
mains ! » répliqua Judd, en décochant un clin d’œil à Ruth.
    Elle sourit, mais lui asséna une tape sur l’avant-bras pour
le faire taire. Elle l’emmena dans l’entrée et brandit la photographie d’une
jeune femme jolie, mais minaudeuse, empaquetée des pieds à la tête dans une
robe victorienne blanche, une masse de longs cheveux noirs relevée sur le
dessus de la tête, selon la mode d’avant la Grande Guerre ; elle était
assise à côté d’un homme méditatif d’une vingtaine d’années, en costume de
tweed et nœud papillon, au cheveu blond-roux ondulant qui se dégarnissait sur
les tempes, les mains croisées, accoudé du bras gauche à un grossier autel plat
en pierre, au bord de l’océan, semblait-il.
    « Je présume que c’est Son Excellence, avança Judd.
    — Et son premier amour, Jessie Guischard. Institutrice
et, comme il le formule, “la meilleure femme” qu’il ait rencontrée.
C’est-à-dire, donc, meilleure que moi. Elle est décédée d’une pneumonie en
1912, juste avant qu’il puisse l’épouser. Difficile de rivaliser avec les
morts, conclut Ruth, avant de reposer le cliché. Al a un album plein de photos
d’elle légendées : “Jessie au vert dans les monts Catskill”, “Jessie
m’envoyant un baiser dans les Adirondacks”. Albert possédait aussi un yacht à moteur
qui arborait son nom, Jessie, sur la poupe. Quand nous nous sommes
mariés, j’ai exigé qu’il le rebaptise Ruth et il l’a fait, mais il s’en
est ensuite désintéressé et il l’a revendu. Et chaque matin, après avoir enfilé
son veston, il ajoute la touche finale : une épingle de cravate portant
les initiales “J. G.”, afin de toujours l’avoir près du cœur.
    — Son Excellence est bien atteinte, non ?
    — Tu l’as dit, bouffi. »
    Ruth considéra le piano mécanique, le mobilier en chintz, le
solarium derrière eux, ne trouva rien à en dire et poursuivit :
    « Ce sont ses tableaux aux murs. »
    Elle loucha comiquement pour exprimer à Judd son avis sur le
talent artistique d’Albert. Puis elle émit un sifflement aigu et un canari
jaune fusa d’une cage dorée dans le solarium, se posa sur l’épaule de Ruth et
nicha la tête sous son oreille.
    « Tu l’as dressé à faire ça ? »
    Elle sourit.
    « J’ai un

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