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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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et les traits d’ombre lui donnaient
l’impression d’être en cage. Albert était tourné vers elle si bien que son
oreille valide, la gauche, était enfouie dans l’oreiller et que seule la
droite, dont il était sourd, était dégagée ; mais Ruth ne se rappelait
jamais laquelle était la bonne, aussi ne pouvait-elle être certaine que son
mari n’était pas à l’écoute de ses changements de position ou de ses échanges
avec Judd.
    Elle patienta jusqu’à trois heures moins le quart, les yeux
rivés sur Albert, jusqu’à ce qu’elle fut assez rassurée pour se lever et
rejoindre Judd. Elle eut la satisfaction de le découvrir ganté, le contrepoids
dans la main droite. Il la dévisagea. Boudeur. Elle prit le chloroforme et le
foulard bleu marine dans la mallette et lui exposa benoîtement :
    « Tu veux savoir le plus drôle ? L’un des hommes à
la soirée m’a juré qu’il tuerait le vieux crabe s’il ne me traitait pas mieux.
    — Moi d’abord », répliqua Judd.
    Ruth passa les gants en daim de Judd et grimaça à cause de
l’odeur douceâtre du chloroforme lorsqu’elle en imbiba le foulard, ainsi que
plusieurs compresses de gaze. Elle remarqua que Judd enveloppait le contrepoids
dans la première page du quotidien italien et fronça les sourcils.
    « Pourquoi tu fais ça ?
    — Pour lui faire moins mal.
    — Tu te rends compte que tu t’apprêtes à lui faire la
peau ? »
    Judd hocha la tête, penaud.
    Ruth le prit par la main, tel un enfant. Elle l’entraîna
jusqu’à la porte entrebâillée de la chambre, puis s’effaça derrière le
chambranle, pendant que Judd entrait.
    La présence immédiate du mari de Ruth, à quelques pas de là
dans la pièce, faillit faire glapir Judd de surprise. Le meurtre lui apparut
soudain comme une possibilité bien réelle et il jaugea l’adversaire. Large
d’épaules. Musculeux. Les cheveux sur le côté, le front haut, dégarni. Les
têtes de lit étaient sobres, les draps avaient probablement été achetés par
correspondance chez Sears & Roebuck. En hauteur, entre les lits
jumeaux, était accroché le cadre ovale en acajou décoré d’un ruban sculpté et
renfermant le portrait en studio de Jessie Guischard jeune fille, avec sa
chevelure de jais. La vue de cette photo aiguillonna Judd, qui s’avança à pas
de loup et brandit le contrepoids à deux mains, avant de l’abattre avec une
haine farouche sur la tête du dormeur.
    Mais la trajectoire était mauvaise et le contrepoids ricocha
sur la tête de lit, blessant seulement Albert, qui se redressa en sursaut avec
un cri de rage et lança un bras devant lui à l’instant où Judd frappait à
nouveau, lui entaillant le nez.
    « Ruth ! » rugit Albert.
    Cherchant à saisir son agresseur, il agrippa la cravate de
Judd et entreprit de l’étouffer. Afin de réprimer les vociférations d’Albert,
Judd lui serra violemment la gorge de la main gauche et ses doigts gantés y
laissèrent cinq sillons. Il frappa, encore une fois, au hasard, atteignant
l’oreiller, puis le contrepoids, de plus en plus lourd, lui échappa et Judd se
retrouva étranglé par l’homme qu’il étranglait. Terrifié à l’idée d’avoir le
dessous, il s’écria :
    « Bon Dieu, Mounette, aide-moi ! »
    Ruth était déjà à ses côtés et Albert ouvrit de grands yeux,
abasourdi par la trahison de son épouse, lorsqu’elle lui pressa le foulard
imprégné de chloroforme sur la bouche et le nez. Albert parut succomber à
l’anesthésique et Ruth ramassa le contrepoids tombé au sol, puis se mit à
matraquer son mari – Judd devait plus tard déclarer qu’elle l’avait
« roué de coups » – et il y eut une grande gerbe de sang,
accompagnée par un bruit sordide de bois trempé qu’on martèle. Albert perdit
conscience.
    Judd s’écroula par terre.
    « Il est mort ? » s’enquit Ruth.
    Judd considéra la poitrine d’Albert qui se soulevait
légèrement.
    « Je ne crois pas, répondit-il.
    — Il doit mourir, proféra Ruth. Il nous a vus tous les
deux. Nous devons aller jusqu’au bout ou je suis faite.
    — C’en est déjà fait de moi », lâcha Judd.
    Avec une froide efficacité, Ruth alla jusqu’à la penderie,
en rapporta l’une des cravates en soie d’Albert, à rayures obliques rouges et
jaunes celle-là, et ordonna à Judd :
    « Ses pieds. »
    Il ôta les gants de chimiste et retroussa les draps blancs,
puis lia les chevilles d’Albert avec la cravate, pendant que

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