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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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Willis.
Le policier l’ignora et rassembla les bouteilles de bière abandonnées dans la
rue cette nuit-là, les aligna sur le bord d’un trottoir, à une trentaine de
mètres de là, s’en retourna vers sa guérite et tira son pistolet de son étui.
Willis crut voir Judd tressaillir. Puis, à moins d’un mètre et demi de Judd, Smith
se campa de profil dans une attitude très solennelle, la main gauche sur la
hanche, le bras droit tendu, revolver au poing, et fit feu. L’arme se cabra à
cinq reprises, cinq tirs assourdissants, qui fracassèrent les cinq bouteilles
de bière. Réveillant tout le voisinage.
    « Je n’aimerais fichtrement pas l’avoir en face de moi
dans un peloton d’exécution », lança Judd à Willis.
    L’observation se voulait amicale – une innocente
plaisanterie de la part d’un quidam ordinaire attendant le bus – mais Judd
avait la gorge si nouée par la tension que sa voix se brisa comme celle d’un
jouvenceau, de sorte que ses deux compagnons le dévisagèrent et se le
rappeleraient.
    Judd, Willis et un concierge montèrent dans le même bus en
direction de l’ouest et, quand Judd s’avança entre les sièges, Willis nota le
boitillement de cet homme aux vêtements de bonne coupe. Judd descendit à
l’arrêt de Sutphin Boulevard, non loin de Jamaica Station, dans l’intention de
prendre le Long Island Rail Road en direction de l’ouest, jusqu’à Manhattan,
mais trois policiers se tenaient à l’intérieur de la gare, près de l’entrée,
tasse de café en main, et conversaient avec sérieux. Judd scruta la rue.
    Un jeune chauffeur de taxi aux airs d’enfant de chœur
patientait devant Jamaica Station quand un type bien imbibé en pardessus à
chevrons s’affala sur la banquette arrière de son taxi jaune. En une manœuvre
d’esquive dont il ne tarda pas à percevoir la futilité, Judd pria le chauffeur
de le déposer à Colombus Circle, à la jonction de la 59 e  Rue et
de Broadway. En dehors de cela, il ne dit pas un mot, même si Paul Mathis
conserverait le souvenir que son passager avait baissé la vitre alors qu’ils
traversaient l’East River, afin de s’exposer à l’action dégrisante de l’air
frais. Le montant final de la course fut de trois dollars cinquante et Judd ne
laissa que cinq cents de pourboire.
    « Merci bien, mon prince », râla Mathis, en le
foudroyant du regard dans le rétroviseur.
    Judd se borna à serrer contre lui sa mallette fauve en cuir
italien et à s’extirper de la voiture pour emprunter un bus en direction du
sud, jusqu’à l’intersection de la 42 e  Rue et de la 5 e  Avenue,
puis il marcha jusqu’à Grand Central, au bout de Park Avenue. Là, la faim eut
le dessus et il entra dans un snack-bar de la gare pour son premier véritable
repas depuis le déjeuner de samedi. Becky Sinclair, la serveuse, se
remémorerait un homme avec des lunettes de hibou, qui avait une gueule de bois
et lui avait confessé : « Je suis affamé. » Il avait commandé un
petit déjeuner assez copieux pour trois. Après quoi, il était resté penché
au-dessus de la nourriture, fourchette en main, et pour finir, n’avait rien
mangé, se contentant de se rincer la bouche avec du café, avant de payer d’un
air las et de repartir. Il était huit heures du matin.
    Au même moment à peu près, Haddon Jones pénétrait dans la
chambre 743 de l’hôtel Onondaga. Il tourna à fond la poignée en porcelaine
blanche du robinet d’eau chaude de la baignoire et laissa couler pendant qu’il
défaisait le couvre-lit, la couverture et les draps, battait les oreillers et
arrachait une serviette de bain à son support. Sur une enveloppe de l’hôtel, il
écrivit au crayon : « Bud : au poil. Appelle quand tu seras
prêt. Had. » Il coinça le mot sous le bord gauche du cadre de la glace,
dans la salle de bains, afin que Judd ne pût pas le louper, vit que l’eau de la
baignoire débordait à souhait sur le sol et referma le robinet. Comme il
quittait la chambre, il jeta à l’intérieur l’écriteau « Ne pas
déranger », puis verrouilla la porte avec la clé de l’hôtel. Il sortit de
l’Onondaga sans être vu, alla mettre de l’essence dans sa Studebaker et rentra
chez lui en sifflotant Blue Skies.
    À huit heures et demie, Judd prit place à bord de la voiture
Pullman 17, dans le Train Numéro 3 de la New York Central Railroad, à
destination de Chicago. Bien qu’il fût le seul passager dans la voiture, Judd
examina son

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