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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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Puis il se traîna hors de la salle de bains,
jusqu’à la bouteille de Tom Dawson, s’accorda quelques gorgées et s’affala dans
le fauteuil de Joséphine, le whisky calé sur son ventre. Il piqua du nez et
s’endormit, le menton sur la poitrine. À son réveil, Ruth était de retour
devant lui, dans une chemise de nuit verte, et lui tendait une chemise bleue
d’Albert, neuve, encore pliée au carré, avec les épingles, dans du papier de
soie.
    « Qu’est-ce que tu faisais ? s’enquit-il.
    — J’ai brûlé nos affaires dans la chaudière, au
sous-sol. »
    Judd passa la chemise d’Albert, la trouva trop grande pour
lui et demanda à Ruth :
    « Tu pourrais me découper une boutonnière
supplémentaire ? Ça me va comme un collier de trait. »
    Ruth eut un soupir d’agacement, mais dégotta des ciseaux et,
quelques instants plus tard, le col rajusté, Judd put nouer sa cravate face au
miroir de la salle de bains, comme s’il s’apprêtait à se mettre en route pour
ses rendez-vous de la matinée. L’adrénaline ou, peut-être, la violence
l’avaient légèrement dégrisé.
    « Il faut encore qu’on simule un cambriolage »,
dit-il.
    Ruth pénétra dans la chambre de sa mère et la retourna en
silence, comme l’eût fait selon elle un cambrioleur. Dans la chambre conjugale,
Judd jeta les coussins du fauteuil violet sur le lit de Ruth. Du bras, il fit
voler la brosse à cheveux, les parfums, les boutons de manchettes et la monnaie
sur le chiffonnier. Il ne repéra pas, parmi la mitraille, la montre Bulova
d’Albert, en or fin, ni son épingle de cravate en or, arborant les initiales de
Jessie Guischard. J. G. Il se remémora le journal italien dans lequel
était emmailloté le contrepoids, le retrouva et jeta en l’air les feuillets qui
tournoyèrent comme des mouettes avant de se poser sur le tapis Wilton.
    La veuve le rejoignit, décocha un coup d’œil maussade au
cadavre d’Albert et remit à Judd quelques sachets de somnifère en poudre, son
itinéraire de tournée avec les adresses d’hôtels, une montre-bracelet Croton à
elle et une boîte de Midol qui, d’après elle, renfermait des comprimés de
chlorure de mercure.
    Judd fit les poches de veste et de pardessus de Son
Excellence et finit par découvrir son portefeuille neuf. Il préleva les cinq
billets de vingt dollars et celui de dix qu’il contenait, puis l’envoya promener
par terre. Il présenta l’argent à Ruth :
    « Il va t’en falloir un peu. »
    Elle secoua la tête :
    « La police aurait des soupçons. »
    Elle fourragea dans sa boîte à bijoux et en retira les bagues,
les boucles d’oreilles et les colliers les plus précieux. Elle lui mit sous le
nez cette richesse scintillante.
    « Tu pourrais prendre ça ?
    — Certainement pas.
    — Mais des cambrioleurs les auraient embarqués,
non ?
    — Cache-les, alors », prôna Judd.
    Il sortit. Ruth glissa les bijoux entre le matelas et le
sommier à ressorts de son lit, où la police les découvrit cette après-midi-là.
Elle ne se souvenait plus où elle avait fichu le chloroforme et fouilla
frénétiquement la chambre à la faible lueur de l’éclairage à arc de la rue,
avant de dénicher le flacon sous les draps, contre la cuisse droite d’Albert.
Elle serra ses bras croisés contre elle, comme transie, debout au-dessus de la
tête d’Albert, pour une ultime confirmation de son anéantissement. Elle eut
envie de le frapper à nouveau, sans raison, mais se contenta de lancer :
    « Bon débarras, sale ordure.
    — On y va ? » s’informa Judd.
    Il vacillait, mais il avait remis sa veste et ses lunettes
de hibou et il avait son chapeau, son pardessus et sa mallette dans les mains.
Ruth sourit et, du bras gauche, lui enlaça la taille, puis l’aida doucement à
descendre au rez-de-chaussée. Là, Judd fit valdinguer les coussins en chintz du
canapé, mais, hébété par l’alcool, omit de voler les manteaux et les écharpes en
fourrure de Ruth dans la penderie de l’entrée ; il renversa des chaises
dans la salle à manger, mais dédaigna l’argenterie Chambly et chambarda
absurdement la cuisine.
    Ruth, elle, dissimula dans la panière à linge du sous-sol sa
taie d’oreiller éclaboussée de sang, embrouillant irrémédiablement sa version
des faits, et Judd la suivit pour brûler son itinéraire de tournée. Il jeta
quelques morceaux de charbon dans la chaudière avec des gestes précis, afin de
ne pas faire de bruit, puis balaya le

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