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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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Ruth déchirait des
bandes de gaze, les aspergeait de chloroforme et, de l’auriculaire, en
enfonçait les vrilles dans les narines de son mari. Après quoi, elle lui bourra
la bouche de coton humecté d’anesthésique et étala le foulard imprégné de
chloroforme sur l’oreiller avant de faire rouler son mari sur le ventre pour
qu’il y enfouît le visage. Comme elle lui ligotait les poignets avec une
serviette blanche, elle commanda à Judd :
    « Récupère son pistolet. »
    Les prémisses de cet énoncé ébranlèrent Judd.
    « Il avait un pistolet ? » s’emporta-t-il.
    Redoutant qu’on l’entendît, Ruth le tança du regard et referma
la fenêtre. Parfois, c’était un vrai gamin…
    « Vérifie d’abord sous l’oreiller »,
préconisa-t-elle.
    La taie était si trempée et puante de sang que Judd dut
détourner la tête. Il identifia, par terre, une gaine Bien Jolie qu’il
avait offerte à Ruth, ce qui signifiait qu’elle la portait et qui, dans son
ébriété, le réjouit. Ses doigts frôlèrent un étui en cuir, il l’attrapa, ouvrit
le barillet du revolver, un calibre .32, et en éjecta absurdement trois
cartouches, mais pas toutes, referma de façon approximative sur l’arme la main
droite encore chaude d’Albert, puis abandonna le pistolet sur le lit, près du
coude gauche de sa victime.
    La police ne put formuler d’hypothèse logique à cette mise
en scène.
    Dans la chambre de Josephine, Ruth farfouillait à l’intérieur
de la mallette de Judd, à la recherche de quelque chose dans l’obscurité.
    « Je n’en peux plus, annonça Judd. J’ai besoin d’une
cigarette. »
    Ruth lui adressa un regard méprisant, mais ne dit rien. Elle
regagna la chambre conjugale avec le rouleau de fil de fer et le porte-mine en
or de Judd. Elle n’était pas surprise qu’envers et contre tout, Albert respirât
encore, même lentement, même laborieusement. Elle l’en eût presque
admiré : c’était un dur à cuire. Par acquit de conscience, elle glissa
donc l’une des extrémités du fil de fer sous la peau froide du cou d’Albert,
forma une boucle et la referma avec un nœud de ménagère qu’elle tortilla à
l’aide du porte-mine Cross de Judd, jusqu’à ce qu’Albert émît un faible
gargouillis et que du sang suintât du fil incrusté dans la chair. Compagne de
ses derniers instants, elle avait si longtemps attendu ce moment qu’elle eût
presque aimé le prolonger. La tête au-dessus de celle d’Albert, elle
susurra :
    « Qu’est-ce que tu en dis, hein, mio babbino  ? »
    Elle tourna la tête et tendit l’oreille afin de s’assurer
qu’Albert ne respirait plus. Puis elle ressortit, oubliant le porte-mine, que
la police devait recueillir et, ultérieurement, rapprocher du stylo plume Cross
en or, bien au chaud dans la poche intérieure de la veste de Judd.
    Judd était descendu avec ses Sweet Caporal jusqu’à la salle
de musique plongée dans le noir. Il s’était tordu le genou en luttant avec
Albert et sa claudication devait attirer sur lui une attention excessive tout
ce dimanche-là. Il s’assit sur la banquette du piano Aeolian et se massa la
rotule en contemplant la fumée grise qui s’élevait de la cendre rougeoyante. Et
lorsque la cigarette eut raccourci au point de roussir ses doigts tachés de
sang, il l’écrasa dans un cendrier en fer-blanc sur le clavier, bien en
évidence, comme un indice dans un jeu de piste.
    Ruth entendit Judd remonter alors qu’elle entrait dans la
salle de bains et allumait la lumière. Elle avait les mains rouges de sang, le
sang dessinait un tablier sur le devant de sa chemise de nuit ; des
gouttes s’aplatissaient par terre telles des piécettes d’un rouge éclatant.
Judd apparut derrière elle. « Mon Dieu, soupira-t-elle.
Regarde-moi. »
    Judd se pencha vers le miroir à cause de sa myopie et
distingua du sang d’Albert sur sa chemise. Des souvenirs de l’école du dimanche
sur le meurtre d’Abel par Caïn lui revinrent : « Qu’as-tu fait ?
[…] La voix du sang de ton frère crie du sol vers moi. » « Ça
partira, ces taches ? » le consulta Ruth.
    Judd se rappela avoir posé la même question à sa mère après
s’être fait casser la figure par une petite brute, à l’âge de dix ans, et
Mrs Gray lui avait répondu, comme il le fit :
    « Non.
    — Donne-moi ta chemise », lui enjoignit-elle.
    Il déboutonna son gilet gris, enleva sa chemise et, d’un œil
morne, regarda Ruth descendre.

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