Une irrépressible et coupable passion
n’est pas inédit », professa
tristement Newcombe.
Judd fit de son mieux pour retracer son histoire malgré son
hébétude, signa ses aveux à quatre heures du matin, fut conduit à la hâte au
rez-de-chaussée afin qu’on le photographiât et qu’on relevât ses empreintes
digitales, puis on le menotta et l’escorta jusqu’à la prison du comté du Queens
au milieu des flashs, de la cohue écrasante et des questions aboyées
caractéristiques, comme il devait l’écrire, de « la noble presse
américaine sur le pied de guerre ».
Ruth fut, elle aussi, ébahie par les meutes de journalistes,
de photographes et de badauds qui suivirent le cortège de police dans lequel
elle se trouvait jusqu’à la Queens-Bellaire Bank pour recouvrer les contrats
d’assurance-vie de la Prudential et le reste du contenu de ses deux
compartiments de coffre-fort, puis jusqu’au Waldorf-Astoria, où elle récupéra
le « balluchon de noces » du couple et où le gérant et le personnel
reconnurent en elle « Mrs Jane Gray ».
New York comptait onze grands journaux et chacun semblait
considérer l’affaire Snyder-Gray et ses rebondissements comme le crime du
siècle. Et tous voyaient leur tirage doubler dès qu’il était question de Ruth
ou de Judd. Si bien qu’au cours des mois qui suivirent, ce devint un feuilleton
quotidien et que des articles parurent régulièrement jusqu’en janvier 1928,
tandis que tout ce qui les concernait – de leur famille à leurs
« amours sordides » et à leur « brutal meurtre de sang-froid » –
apparaissait comme un sujet de débat légitime.
Avant même que Judd eût atteint New York ou la prison du
comté du Queens, un folliculaire força l’entrée du domicile de
Mrs Margaret Gray, à West Orange, en se prétendant de la brigade homicides
de Brooklyn et somma avec muflerie la frêle mère de Judd, effrayée, de répondre
sur-le-champ à diverses questions. Ce même 21 mars, un autre gratte-papier
débarqua dans le bureau du principal de la Washington Elementary School, à East
Orange, en insistant pour interroger Jane Gray, alors âgée de dix ans. La
fillette fut renvoyée chez elle sans savoir pourquoi et découvrit alors que le
pavillon familial en briques du 37, Wayne Avenue était gardé par un contingent
de policiers chargés de retenir une vaste troupe de reporters criards.
Pour les apaiser, Isabel finit par procéder, en ce lundi
soir pluvieux, depuis le porche d’entrée, à la lecture d’une annonce laconique
sollicitant de la presse la correction, la bienséance, ainsi que le respect de
l’intimité de sa famille, et proclamant qu’elle se refusait à croire « les
folles allégations sur l’infidélité de mon mari » tant qu’il ne les lui
aurait pas personnellement confirmées.
L’occasion s’en présenta le lendemain matin, le mardi
22 mars, quand elle rendit visite à Judd à la prison du comté du Queens.
Le mercredi, un journal devait titrer : « L’épouse à la rescousse du
meurtrier ». Elle était vêtue d’un « manteau en castor de médiocre
qualité » et coiffée d’un turban « qui n’avait rien de Smart ».
Elle fut perçue comme « froide et détachée », « portée à
l’embonpoint, quelconque, dépourvue d’attrait ou de ruse ».
Une fois dans la prison, elle darda un regard courroucé sur
son mari menotté et lâcha :
« Bud, es-tu coupable de toutes ces choses ?
— Oui », admit Judd avec franchise.
Isabel sacrifia une minute à sa souffrance d’épouse trahie,
puis reprit :
« As-tu signé des aveux ? »
Judd hocha la tête.
« À quatre heures, ce matin.
— As-tu subi des pressions ?
— Non, assura-t-il. J’ai été traité avec égards. »
Isabel considéra la quantité de curieux que les geôliers
maintenaient à distance et baissa la voix, mais on l’entendit murmurer à son
époux :
« N’oublie pas que tous tes amis sont derrière toi,
même si nous ne comprenons pas comment ce drame a pu se produire. Tu avais dû
boire. »
Judd livra plus de détails à Isabel mais, conscient de la
présence de la presse, dissimula sa bouche et chuchota afin qu’on ne surprît
pas ses propos. Au bout d’un moment, Isabel se raidit un peu et répliqua :
« Tu m’as priée de venir. Je suis là. Je suis résolue à
remplir mon devoir d’épouse.
— Tu pourras me voir tous les jours », suggéra
Judd, en lui serrant les mains.
Isabel parcourut du regard les
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