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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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plut
aussitôt à Ruth, en dépit de ses soutane et barrette noires. Elle eut à cœur de
lui faire part de sa récente découverte : les femmes accordent leur corps
aux hommes pour en obtenir l’amour en retour et les hommes accordent leur amour
aux femmes pour en obtenir le corps en retour.
    « Eh bien, oui, acquiesça Murphy, avec sérieux. C’est
pour le moins une vieille scie.
    — Vraiment ? Je viens juste de le piger.
    — Ma pauvre, compatit le prêtre avec un sourire. L’âge
vient toujours trop vite et la sagesse, trop tard… C’est assez courant, ici.
    — Qui plus est, les hommes rêvent de sexe en
permanence.
    — Tout à fait vrai, confirma Murphy, avant de lui
adresser un clin d’œil. D’après mon expérience de la confession.
    — Et les femmes rêvent d’amour.
    — Certes.
    — Mais chercher l’amour est source de tout autant
d’ennuis.
    — Ah, si vous pouviez prêcher ! » s’exclama
le prêtre, guilleret.
    Et il s’attarda ainsi une heure dans la cellule de Ruth, à
l’instruire un peu et à plaisanter avec elle, traitant leur conversation comme
une fête. Elle eut l’impression de redevenir jeune fille et implora Murphy de
revenir, ce qu’il fit, avec régularité, tous les matins, après en avoir terminé
avec les prisonniers catholiques, qu’il appelait ses « frères ».
    Le Jeudi saint, il lui fit don d’un rosaire d’un noir de
jais, qu’il qualifia avec romantisme de « guirlande de roses » et
auquel il joignit une feuille pliée sur laquelle il avait recopié à la main le
« Notre-Père », le « Je vous salue Marie » et le
« Gloire au Père ». Mais Ruth ne vit pas le lien avec la prière et
prit le chapelet de soixante grains pour un joli collier qu’elle arbora
gaiement, en tant que seul bijou qui lui fût autorisé.
     
    Malgré tout, le procès, prévu pour le 19 avril,
perturbait tant Ruth que, au mépris de l’avis juridique de ses avocats Hazelton
et Wallace, le 17 – le dimanche de Pâques –, elle transmit à un
reporter bienveillant du New York Daily Mirror une harangue contre Judd
Gray qu’elle avait griffonnée au crayon sur un bloc d’écolier, en lettres si
grosses qu’il ne tenait pas plus de trois ou quatre mots par ligne. Le
journaliste avait corrigé les fautes d’orthographe et introduit tant de rajouts
de son cru que Ruth avait été contrainte de s’entraîner à la récitation du
texte avant d’inviter devant sa cellule le pool de presse pascal.
    Trop fébrile pour rester assise, elle s’appuya contre les
barreaux, comme sur le point de défaillir et, les mains tremblantes, les yeux
larmoyants, la voix chevrotante, elle lut :
    « Je sais à présent que Judd Gray est un lâche, un vil
chacal servile et sournois, qui a assassiné mon mari et essaye aujourd’hui de
se cacher dans mes jupes pour m’entraîner dans le cloaque puant où il s’est
vautré de son plein gré ; de me flétrir, comme une femme qui aurait tué
son époux. » Elle changea de page.
    « Je suis une mère ! J’aime mon enfant et j’aimais
son père ! Mon Dieu ! Mères et épouses qui lisez cela, pouvez-vous
mesurez la terrible, l’oppressante épreuve que je vis en ce moment ? Le
dimanche de Pâques ! La Semaine sainte ! Je voudrais tant être chez
moi avec Albert et Lorraine. Oh, quelle tragique différence ces quelques mois
ne font-ils pas… » Elle passa avec agitation à la page suivante.
    « Je vous en conjure, mères et épouses, gardez-moi dans
vos pensées. Ne me jugez pas trop durement. Si votre commisération ne me sera
d’aucun secours à la barre, j’aurai au moins le soulagement de savoir que je ne
suis pas une proscrite aux yeux des femmes de ce monde. »
    Elle referma son bloc et s’efforça de sourire.
    « Est-ce que ça fera l’affaire ? »
    Six reporters prenaient encore des notes en sténo quand une
journaliste plus rapide lui lança :
    « Êtes-vous au courant que les femmes n’ont pas le
droit de siéger en tant que jurées lors des procès pour meurtre ? »
Un tic contracta la moitié du visage de Ruth.
    « Vous rigolez. »
    Son interlocutrice répliqua que non. C’était la loi de
l’État.
    Ruth s’affaissa sur son lit de prison, une main sur les
yeux, comme emplie de consternation, puis elle entendit un couinement et, ravie
comme une gamine, fixa un trou dans le mur opposé, par lequel une souris grise
pointait le museau, à l’affût de quelque nourriture. Ruth émit un

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