Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
Vom Netzwerk:
au-dessus de la figure et Mère la chasse. Elle me
caresse les cheveux de sa main gantée. Quand je relève la tête, elle me fait de
l’air pour me calmer avec un éventail en carton sur lequel est représentée une
belle jeune fille. Elle a les joues toutes rouges, les yeux bleus, des boucles
blondes et, dans mon esprit, elle mange une montagne de crème glacée dans une
assiette. Il fait chaud ce jour-là et mon costume marin est raide. Il me
démange à travers mes sous-vêtements. »
    À l’issue de ces séances, les experts décidèrent que Judd était
sain d’esprit dans l’acception de la loi, mais que l’alcool, les conflits
œdipiens et les pratiques sexuelles nouvelles auxquelles l’avait initié
Mrs Snyder avaient faussé son appréciation du bien et du mal. Le
Dr Siegfried Block conclut : « Je suis profondément désolé pour
lui. » Et le Dr Thomas Cusack renchérit : « Si seulement il
avait consulté l’un de nous quelque temps, rien de tout cela ne se serait
produit. »
     
    À la lecture de l’interview de Mrs Margaret Gray à
propos de son fils, Mrs Josephine Brown chercha à défendre la réputation
de Ruth et accepta de recevoir quelques journalistes dans la maison reluisante
de propreté de sa fille. Elle souligna le goût de Ruth en matière de décoration
intérieure, son habileté manuelle et attira bien leur attention sur l’émail
blanc du four de la cuisine, si immaculé qu’il eût pu être neuf. « Et on
aurait pu manger par terre », ajouta-t-elle. Puis elle les emmena voir les
conserves soigneusement étiquetées de Ruth et commenta : « Qui se fatigue
encore à en faire ? »
    Dans la salle de musique, Josephine indiqua que le piano
mécanique avait besoin d’être accordé et que Ruth voulait le faire réparer,
mais qu’Albert avait riposté, furieux : « Laisse ce piano tranquille,
espèce de mêle-tout ! »
    « Elle l’a laissé tranquille et elle s’est écartée,
toute tremblante », exposa Josephine.
    Elle s’était ensuite assise dans le fauteuil en chintz à
motifs floraux, dans une attitude guindée, dénotant, comme l’écrivit un
journaliste, « la sévérité empreinte d’humour d’une grand-mère au bon
cœur ».
    « Al n’aimait pas rire, énonça-t-elle avec son accent
suédois. Il avait un mauvais caractère. Il trouvait qu’elle était stupide de
rire et d’être gaie. Et il travaillait toujours à quelque chose – toujours
si sérieux. Il avait l’air trop occupé pour s’amuser. »
    Elle tourna la tête vers une jolie photo de Lorraine, aux
allures de garçon.
    « Je crois que leur amour est vraiment mort après
l’arrivée du bébé. Mr Snyder, il disait que ce n’était que des maladies et
des dépenses supplémentaires. »
     
    Le début du procès conjoint de Ruth Snyder et Judd Gray pour
meurtre avec préméditation avait à l’origine été fixé au 11 avril 1927,
mais comme cela eût nécessité de tenir audience durant la Semaine sainte, le
juge Townsend Scudder, de la Cour suprême de l’État de New York, reporta les
premiers entretiens de sélection des jurés à la semaine suivant Pâques.
    Le 10 avril, pour le dimanche des Rameaux, un service
protestant fut organisé à la prison du comté du Queens. À l’instar d’Albert,
Ruth n’était pas pratiquante, mais par désœuvrement, elle décida de se rendre à
la chapelle pour épier Judd depuis la travée des femmes et ricana de son
exaltation lorsqu’il chanta à pleine voix : « Conduis-moi, douce
lumière, parmi l’obscurité qui m’environne, / Conduis-moi ! / La nuit est
sombre, et je suis loin du foyer, / Conduis-moi ! / Garde mes pas ;
je ne demande pas à voir / Les scènes éloignées : un seul pas est assez
pour moi [5] . »
    Elle faisait décidément ressortir le meilleur chez cet
avorton. Maintenant, il s ’Isabelisait. Ruth se rappela une chanson des
années 1890 qu’elle avait entendue quand elle était petite – She’s More
to Be Pitied Than Censured (« Elle est plus à plaindre qu’à
blâmer ») – et elle fut prise d’un fou rire si violent et intempestif
qu’elle dut partir et quitta la chapelle en fredonnant.
    Toutefois, elle sollicita ce soir-là une visite de
l’aumônier de la prison. Et comme le pasteur dînait chez lui avec sa famille,
on lui envoya le ministre catholique. Le père George Murphy, du diocèse de
Brooklyn, était un gros homme affable et jovial au nez rosacé, et il

Weitere Kostenlose Bücher