Une irrépressible et coupable passion
baiser dans
le vide et la souris s’avança avec précaution vers le morceau de toast qu’on
lui tendait, allant jusqu’à se dresser sur ses pattes arrière et à tendre la
tête pour atteindre la croûte juste hors de portée. Ruth sourit aux reporters.
« Mon petit animal de compagnie, expliqua-t-elle. Vous
voyez comme il m’aime ? »
Chapitre 8
LE SALAIRE DU PÉCHÉ
Comme la peine de mort et la nature théâtrale des procès
criminels rebutaient le juge Townsend Scudder, il chercha à se faire remplacer lorsque
l’affaire Snyder-Gray atterrit sur son bureau, mais aucun autre magistrat
compétent n’était disponible et il s’en chargea donc, à contrecœur. Âgé de
soixante et un ans, veuf, Scudder était un homme cultivé aux airs patriciens et
à la voix sonore, qui avait étudié en Europe avant d’obtenir son diplôme à la
faculté de droit de l’université de Columbia en 1888 ; il avait été élu au
Congrès à deux reprises et avait officié pendant treize ans à la Cour suprême
de l’État de New York, avant de revenir à l’exercice libéral du droit. En
février 1927, son ami, le gouverneur Alfred E. Smith, l’avait à nouveau
nommé à la Cour suprême, et désigné comme successeur dans l’éventualité où
lui-même quitterait ses fonctions pour se présenter aux présidentielles en 1928 –
ce qu’il fit. Mais l’ancien secrétaire adjoint à la Marine, Franklin Delano
Roosevelt, s’immisçant dans la course, Scudder retira gracieusement sa
candidature. Il prendrait sa retraite en 1936 et la consacrerait à exhiber ses
cockers de race dans des concours canins internationaux, avant de mourir en
1960, à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.
Les premiers entretiens avec les jurés – dénommés tales-men dans l’État de New York – eurent lieu le lundi 18 avril 1927, quatre
semaines seulement après que Judd Gray eut entrepris son voyage fatal de
Syracuse à Queens Village, de l’hôtel Onondaga au domicile des Snyder. Par une
chaleur atteignant les trente degrés, le juge Scudder dut interroger trois cent
quatre-vingt-dix hommes pour réussir à en trouver douze qui ne cherchassent pas
à se dérober à leur devoir de juré sous des prétextes tels que la
« dyspepsie » ou la « bonté d’âme », et qui pûssent
attester qu’ils n’étaient pas influencés par les articles partiaux de la
presse. En raison de l’accusation d’association de malfaiteurs, Scudder avait
pris la décision capitale de juger conjointement les accusés, si bien que le
procès ne se limitait pas à « l’État de New York vs. Snyder et
Gray », mais incluait aussi les affaires « Snyder vs. Gray » et
« Gray vs. Snyder ». Fondamentalement, l’un comme l’autre des accusés
faisaient l’objet de deux procédures, mais ce choix fut perçu comme avantageux
pour Judd, parce que aucun jury du comté du Queens n’avait jusqu’alors expédié
de femme dans le « pavillon de la mort » à Sing Sing et il n’était
pas exclu qu’il pût bénéficier de cette réticence.
Pour la défense de leur client, les avocats de Judd
adoptèrent pour stratégie la suivante : qu’il était sous l’impérieuse
emprise de la volonté hypnotique d’une intrigante ensorceleuse qui avait abusé
de sa nature obligeante, de ses fantasmes érotiques et de toutes ses
faiblesses. Une femme qui avait pris l’ascendant sur lui en menaçant de
divulguer ses frasques à son épouse. Que Judd avait tué Albert Snyder en
respectant scrupuleusement les désirs de Ruth, servilité procédant tant de
l’engouement que de la peur. Les avocats de Judd devaient arguer que c’était
Ruth qui avait prémédité le meurtre, tandis que leur client s’était borné à
exécuter ses ordres, y compris pour se forger un alibi « en béton »
attestant de sa présence à Syracuse au moment du crime. Le procès,
affirmèrent-ils, mettrait en évidence que Mrs Snyder avait tout à gagner à
se débarrasser de son époux, alors que Judd n’avait rien à en espérer, hormis
une liberté accrue plus propice à leurs rendez-vous galants et à leurs ébats,
qui n’avaient jamais été interrompus et n’étaient guère susceptibles de l’être.
Hazelton et Wallace, eux, avaient arrêté la défense de Ruth
deux jours à peine après le crime : leur cliente récusait les aveux qu’on
lui avait arrachés le 21 mars après plus de seize heures d’interrogatoire
par la police, durant lesquelles on
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