Une irrépressible et coupable passion
lui avait refusé tout repos ou réconfort
après la perte atroce, violente et traumatisante de son époux. Elle maintenait
que Judd était résolu à assassiner la victime, qu’elle l’avait uniquement
laissé entrer dans la maison pour s’expliquer avec lui et mettre fin à leur
liaison et qu’elle avait seulement accepté le contrepoids que Judd avait
apporté au restaurant pour le lui ôter des mains. Selon les avocats de Ruth, si
Judd et leur cliente avaient souvent plaisanté à propos des aléas de santé de
son mari et de l’heureuse possibilité d’un décès accidentel, rien n’était plus
éloigné des pensées de Ruth que l’idée d’homicide. Elle s’était ravisée, mais
Judd n’en avait pas tenu compte. Elle prétendait que Judd avait délibérément, à
lui seul et en secret, ourdi le projet de tuer Albert Snyder et, une fois son
forfait accompli, ligoté le corps, simulé un cambriolage avec voie de fait
commis par des Italiens fictifs et menacé de tuer sa maîtresse avec le revolver
du défunt si elle ne l’assistait pas. Ruth avait été si effrayée qu’elle avait
coopéré avec Judd sur le moment, avant d’en faire autant avec les policiers et
de leur raconter exactement ce qu’ils voulaient dans le vain espoir qu’on lui
permît de rentrer chez elle, auprès de sa fille de neuf ans en deuil.
Judd avait maigri et il était presque fluet lorsqu’on le
menotta dans sa cellule, avant le point du jour, pour qu’il effectuât à pied,
en secret, au milieu d’une escouade d’huissiers, le chemin jusqu’à la salle
d’audience. Harry Folsom lui avait rapporté des vêtements du pavillon d’East
Orange, aussi Judd faisait-il, comme toujours, figure de mannequin Brooks
Brothers dans son beau costume sombre sur mesure, avec ses lunettes de hibou en
écaille, son visage sévère rafraîchi par l’après-rasage et sa chevelure châtain
striée par les dents du peigne et luisante de brillantine.
Levant les yeux depuis le trottoir vers le palais de justice
du comté du Queens, Judd interrogea un huissier plus amical que les autres à
propos de l’architecture du bâtiment et apprit que celui-ci était de style
néo-Renaissance anglaise. Mais ce n’était en fait qu’un méli-mélo plutôt criard
de brique rouge et de calcaire sur trois étages, percé d’une haute entrée
voûtée de part et d’autre de laquelle des paires de colonnes ioniques
soutenaient des balcons. À l’intérieur, Judd et son escouade de gardes
gravirent bruyamment un escalier monumental en marbre, qui grimpait en zigzag
entre des rampes tarabiscotées en fer forgé noir et desservait des couloirs
lambrissés de chêne. Enfin, ils arrivèrent au deuxième étage dans une
majestueuse salle d’audience de douze mètres de hauteur sous plafond, aux murs
revêtus de boiseries crème et au mobilier en chêne foncé massif, sous une
magnifique verrière orange et verte représentant une torche enflammée et la
balance de la Justice en vitrail. Judd apprit que c’était là que Cecil B.
DeMille avait filmé les scènes de procès de son film Le Réquisitoire, sorti
en 1922.
« Ah, oui, bien sûr, se remémora Judd. Leatrice Joy
jouait dedans, non ? »
Un huissier sembla s’offusquer de son calme.
« Dites, vous vous rappelez pourquoi vous êtes
ici ?
— Je repensais simplement que c’était elle qui avait
lancé la vogue des cheveux courts. »
On escorta Judd dans une pièce attenante habillée de lambris
de chêne, où on lui offrit un doughnut et du café. Et durant les trois heures
d’attente nerveuse précédant la première séance, la conversation dériva vers
d’autres films et revues musicales.
La salle d’audience était prévue pour accueillir deux cent
cinquante personnes, mais rien que lors de la sélection du jury, il y avait
déjà une fois et demie autant de journalistes accrédités et quinze cents autres
spectateurs tellement à l’étroit que l’acoustique en pâtissait. Aussi, en vue
du premier jour du procès, avait-on fait installer par une entreprise de
sonorisation de Long Island des microphones et des haut-parleurs – une
première dans un tribunal.
Juste derrière Judd, devant les rangs des journalistes et la
large barrière les séparant du reste de la salle, était assise la famille Gray,
comprenant la sœur grassouillette de Judd, Margaret, son mari, Harold Logan, et
la mère de Judd, Mrs Margaret Gray, défaite, qui avait avancé sa chaise
pour
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