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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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sublime et
mutine « Tommy ».
    Comme la majorité de ces galants étaient mariés, ils ne lui
rendirent jamais visite en prison et, Lorraine étant trop jeune, ce fut avec
Josephine et ses avocats seuls que Ruth fêta son trente-deuxième anniversaire,
le dimanche 27 mars. Mrs Brown avait consacré une douzaine de blancs
d’œufs à la confection d’un gâteau de « sa voix », mais les gardiens
l’avaient sondé de part en part avec un crayon afin de s’assurer qu’il ne
dissimulait pas d’instrument d’évasion. Néanmoins, même massacré, le dessert
enchanta Ruth. Rayonnante, elle se trémoussa sur le lit de sa cellule comme une
gamine avant de fermer les yeux pour souffler des bougies imaginaires. Edgar
Hazelton sourit et lui demanda quel était son vœu.
    « La liberté et la justice pour tous », exposa
Ruth.
    Dana Wallace, vacillant, se façonna avec les doigts une
boule de gâteau qu’il se fourra dans la bouche, puis s’effondra sur une chaise
de prison inconfortable, abruti comme toujours d’alcool et de fatigue.
    En bonne hôtesse émule d’Emily Post, Ruth lança à son autre
avocat et à Josephine :
    « Oh, je vous en prie, vous tous. Mangez. Mangez et
réjouissez-vous. »
    Après avoir fraîchement souhaité un joyeux anniversaire à
May, Josephine se sentit autorisée à se servir une part de gâteau, malgré
l’absence de fourchettes, puis elle se lécha les doigts. Hazelton s’accota aux
barreaux de la cellule, les bras et les chevilles croisés, et jaugea sa cliente
avec bienveillance.
    « Al et moi devions organiser hier soir une grande fête
pour mon anniversaire. Plein d’invités. J’avais déjà acheté l’alcool. Al avait
sélectionné ses morceaux favoris pour le Victrola, mais j’avais insisté pour de
la musique plus popu…
    — Allons, Mrs Snyder, la coupa Hazelton. Je ne
suis pas un juré. »
    Elle le dévisagea avec une expression d’innocence inquiète
et, sans qu’elle sût pourquoi, repensa à la buée sur la glace de la salle de
bains, quand elle sortait Lorraine du lavabo et prenait dans ses bras l’enfant
tout juste baigné qui embaumait, emmailloté dans une serviette, dodelinant
contre sa poitrine avant de trouver son minuscule pouce. Elle confia à Hazelton
qu’elle avait coutume de s’attarder auprès du lit de Lorraine endormie,
débordante d’amour pour sa fille. Les larmes montèrent aux yeux de Ruth, tel un
lent raz-de-marée, puis sa figure se chiffonna et elle se plia en deux, la tête
dans le giron gris de sa robe.
    « Oh, pourquoi mon bébé n’est-il pas là ?
gémit-elle, en se balançant d’avant en arrière. Ne savent-ils pas combien j’ai
besoin d’elle ? Ne voient-ils pas ce que j’ai fait pour elle ? Elle
est mon oxygène ! »
    Mrs Brown tapota doucement le dos de sa fille pour la
réconforter, mais des émotions contradictoires l’empêchaient de parler.
    Ruth se redressa brusquement sur son lit et cria avec
férocité à Hazelton :
    « C’est un châtiment cruel et injuste, de me priver de
Lorraine ! Dites-leur ! Cruel et injuste ! Je suis sa
mère ! »
    Hazelton empoigna par le coude gauche Dana Wallace, qui se
réveilla en sursaut de son somme.
    « Vous m’écoutez ? » hurla Ruth.
    Hazelton l’ignora et aida Wallace à se relever tant bien que
mal de sa chaise.
    « Bien, nous allons vous laisser. Nous voulions
simplement vous souhaiter un très bon anniversaire.
    — Représentez-vous aussi Judd Gray ? rétorqua
Ruth.
    — En aucun cas.
    — Alors faites ce que je vous dis.
    — En aucun cas », répéta Hazelton avec un sourire.
     
    Elle rédigea un poème :
     
    Une pensée pour
tous ces riens,
    Ces petits
bonheurs jadis miens.
    La joie
d’aimer – de materner,
    Regarder
Lorraine pousser.
    Dans le
temps – une éternité –
    J’ai connu la
félicité.
    Ma famille, que
tant j’aimais !
    Que je m’en
languis désormais.
     
    Comme Isabel, Mrs Kallenbach et Jane se cachaient à
Norwalk, dans le Connecticut, la presse se tourna à nouveau vers la mère de
Judd, Mrs Margaret Gray, qu’elle considérait comme l’exact opposé de Ruth.
Elle avait soixante ans, mais elle en paraissait bien plus et le dévouement, la
loyauté et la piété de cette dame frêle aux cheveux blancs, cultivée et inconsolable,
offraient un contraste édifiant avec Ruth.
    Mrs Gray invita donc un plein camion de reporters chez
la sœur de Judd, à West Orange, où elle leur proposa du café et des

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