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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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sacrifiant rien de lui-même ni de son travail aux vaines occupations de la vie mondaine, ne cherchant pas à élargir le cercle des rares amis qu'il s'était choisis et dont le premier était son fils.
     
    Agnès n'avait pas lâché la main de sa mère. Elle pensait que tout ce qu'avait dit jusque-là de son père ce président, qui s'était toujours senti menacé par la personnalité du mort, était ce que tout le monde aurait pu en dire. Elle souhaitait ardemment qu'il en arrivât aux condoléances et que toute cette foule, qui sautait d'un pied sur l'autre, pût s'en aller. Mme Malterre continuait à guetter les évolutions du scarabée, mais la buée des larmes et la mousse du voile ôtaient toute acuité à son regard. La bestiole s'était glissée hors de sa vue, comme si, respectueuse du deuil, elle voulait supprimer une distraction inadmissible.
     
    Maintenant, le président terminait son allocution.
     
    - Mon cher Louis, dit-il en se tournant vers le cercueil et sans regarder son papier, car il avait pris soin d'apprendre par cœur la dernière phrase, mon cher Louis, fidèlement, nous garderons ta mémoire, fidèlement nous révérerons ton exemple. Adieu.
     
    Avant de faire face à la famille, le président se moucha, en profita pour regarder l'auditoire qui paraissait d'autant plus attentif qu'il sentait proche la fin du discours.
     
    – Madame, nous respectons votre immense douleur. Mademoiselle, nous savons combien vous ressentez le vide de ce foyer privé de son chef, et vous, mon cher Jean-Louis, nous comprenons maintenant combien, dans ce chagrin désespérant, vous aurez à faire pour assurer la mission à laquelle vous avait préparé votre père. Puissent notre affection et notre soutien fidèle vous aider à surmonter l'épreuve, notre amitié vous encourager à poursuivre.
     
    Dans la foule, tandis que l'ordonnateur tendait le goupillon à la veuve qui devait encore ouvrir le cortège des bénédictions, une dame fort élégante se pencha vers son mari.
     
    - C'était bien, dit-elle. Le fils, qui a l'air aussi orgueilleux que le père, devrait être content.
     
    Mais Jean-Louis n'était pas du tout satisfait. Il avait trouvé l'éloge funèbre plat et banal et il n'était pas près de pardonner au minuscule vieillard d'avoir osé tutoyer son père mort.
     
    En descendant vers la ville dans « le carrosse » - c'est ainsi que son père appelait la Rolls noire que conduisait Émile, le chauffeur de la direction des Établissements Malterre - Jean-Louis était atterré de se trouver seul sur la banquette. Sa mère et sa sœur n'avaient pas voulu recevoir les condoléances de la délégation des ouvriers et avaient préféré rentrer dans la voiture de M. Vérimont, . le fondé de pouvoir.
     
    Quand Emile lui avait ouvert la portière, il s'était assis instinctivement dans le coin gauche où il se tenait quand son père était avec lui, laissant vide la place du patron. Il avait fermé les yeux, imaginant sa présence, imaginant qu'il revenait avec son père des obsèques d'un autre industriel. Louis Malterre détestait les cérémonies funèbres mais il mettait un point d'honneur à les suivre. C'était nécessaire.
     
    La veille d'un enterrement, il lui disait simplement après le rapport des ingénieurs : « Demain, tu m'accompagneras aux obsèques de ce pauvre Durand. » Mais il prononçait « pauvre » avec un tel accent d'ironie blessante que l'autre aurait dû avoir honte d'être mort. Puis il ajoutait : « Il faudra dire à Émile de sortir le carrosse et d'être à la maison à 8 heures 30. Nous irons à la messe et au cimetière. Ça nous fera perdre du temps, mais, ajoutait-il en riant, quand les autres s'en vont, il faut toujours être là pour les saluer. C'est une politesse à leur rendre pour la place qu'ils nous laissent. »
     
    Quand il devait se rendre à ces cérémonies, Louis Malterre, toujours soucieux de l'aspect de sa personne, mettait une cravate de soie noire. Il la nouait devant sa glace avec le geste élégant et rapide d'un prestidigitateur. « La dernière fois que je l'ai mise, disait-il, c'était pour Untel... »
     
    Et, la veille de l'enterrement, Jean-Louis était allé chercher la cravate de soie noire qui conduirait un autre deuil. Devant la glace de Venise où tant de fois son père avait refait le même geste, il l'avait nouée en pleurant. Maintenant, sur la banquette de la Rolls, il était seul et bien seul. Il ne pourrait dire à personne le

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