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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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déchirement de sa solitude. La mort le laissait sans défense. Comme un chien devant le fauteuil vide de son maître, il eut envie de hurler de chagrin, dans cette voiture luxueuse qui avait toujours, semblait-il, suivi des corbillards. Pour lui, elle ne transportait que des souvenirs d'enterrements ou de réceptions sinistres.
     
    Mais jusqu'à ce jour cela n'avait rien eu de triste, car l'esprit caustique de son père était toujours excité au retour des cérémonies funèbres. Jamais, peut-être, on ne se sent aussi heureusement vivant qu'en revenant d'un cimetière. « Un mort, disait son père, c'est une chair froide et molle, une enveloppe qui porte sa pourriture. Quand on en a vu un, c'est une jouissance de se mordre un doigt pour se sentir vivant. »
     
    De sa mort, à lui, il n'avait jamais parlé, comme s'il devait être éternel. Et Jean-Louis se disait qu'il devait l'être, puisque lui, le fils, se sentait devenir le mort.
     
    Au moment où la Rolls entrait dans le parc, Jean-Louis vit devant la maison une douzaine de voitures et il envisagea d'autres condoléances inévitables. On devait l'attendre pour lui dire tout ce qu'il avait dit lui-même à des gens pleurant dans des maisons vides. Il ne put supporter cette perspective et, ouvrant la glace de séparation, ordonna :
     
    - Émile, nous allons à l'usine.
     
    La Rolls fit le tour du gazon pour repasser le portail.
     
    C'était la première fois que Jean-Louis donnait un ordre à Emile dans la voiture. Ce n'est qu'en ouvrant la portière, dans la cour de l'usine, que le chauffeur se souvint que le jeune homme avait eu, en s'adressant à lui, la voix nette de son père. Une voix qui privait d'éclat les voyelles et n'accordait aux consonnes aucune gravité. La voix du patron qui se sert des mots pour fabriquer des ordres, comme d'une machine pour fabriquer des objets.
     
    « Comme l'autre il sera, celui-ci », pensa Emile en remettant sa casquette. Mais, dans le fond, ça lui était bien égal. Pour lui, les Malterre, père et fils, étaient des figurants. Il n'aimait que les belles voitures !
     
    Dédaignant le péristyle prétentieux des bâtiments de la direction devant lequel Emile avait arrêté la voiture, Jean-Louis se lança dans la traversée de la cour. Il voulait, comme son père le faisait chaque matin, parcourir les ateliers en rejoignant son bureau. Louis Malterre, à huit heures et demie, descendait de sa voiture devant l'usine. Le garde le saluait mais n'avait jamais le temps de lui ouvrir la petite porte découpée comme une chatière dans l'immense rideau de fer. Émile, qui attendait chez le concierge en buvant un café ou en fumant une cigarette, allait ensuite ranger la voiture. L'usine, dès ce moment, vivait à son rythme normal. Le patron était arrivé. Tous les ingénieurs, les chefs d'atelier, contremaîtres et chefs d'équipes savaient que l'heure des conciliabules, des critiques, des visites de bureau à bureau était passée. Il fallait maintenant, jusqu'au rapport de onze heures, que tous les instants soient consacrés au travail.
     
    Quand il était en voyage à l'étranger ou à Paris, Louis Malterre téléphonait tous les jours à ses principaux chefs de service, se faisant préciser l'état d'avancement des commandes. C'était son fils, ces jours-là, qui parcourait les ateliers vers huit heures et demie, avant d'aller suivre de son bureau toutes les conversations que son père avait par téléphone. Plus tard, au rapport, il pouvait vérifier si tout ce qu'avait demandé le patron avait été fait. Et c'était cette solidité dans l'organisation, cette suite du commandement qui donnaient à tous les ouvriers de l'usine Malterre le sentiment de la sécurité et cette sorte de foi qu'ont les hommes dans les machines qui n'ont pas de défaillance.
     
    En traversant la cour, Jean-Louis s'arrêta près d'un camion où l'on venait de charger des caisses. Le chef des expéditions signait le bordereau de sortie.
     
    Comme son père l'eût fait, Jean-Louis lut les placards collés sur les caisses cerclées de fer : « Chemin de fer d'Argentine ».
     
    - Pressez-vous, dit-il au convoyeur du camion qui allumait une cigarette avant de se mettre au volant, la douane ferme à 11 heures. Vous avez juste le temps.
     
    Dans le bruit du Diesel, le chef des expéditions lui présenta ses condoléances.
     
    -Merci, dit Jean-Louis.
     
    Et, comme l'homme en blouse grise allait encore parler, il ajouta :
     
    - Pour

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