Une veuve romaine
Naturellement, ils s’adressent à des investisseurs un peu simplets, qui ne se donnent pas la peine d’aller vérifier que l’immeuble censé garantir leur prêt est libre de toute autre hypothèque. À la fin, ils perdent leur propriété, mais ils en ont rien à fiche, puisqu’ils ont déjà récupéré sa valeur plusieurs fois.
— Mais leurs créanciers peuvent les attaquer ?
— Celui qui a la préséance est remboursé le premier, et ainsi de suite. Quand l’argent récolté par la vente de l’immeuble est épuisé, les autres sont déboutés.
— Ils n’ont aucune protection ?
— C’est à eux de se protéger en vérifiant les garanties avant de donner leur argent. Sinon, c’est tant pis pour eux. C’est une fraude basée sur l’insouciance des gens qui ont de l’argent à placer. (Petro ne semblait pas les plaindre. Comme moi, il savait faire preuve d’un peu plus de bon sens.) Un financier syrien m’a fourni tous ces renseignements. D’habitude, je n’arrive pas à lui extirper un mot. Il répond à mes questions en secouant ses boucles huileuses. Mais la réputation de cet Appius Priscillus est telle que tout le monde dans le Forum aimerait le voir se faire dégommer. C’est également lui qui m’a mis au courant pour les Hortensius, parce qu’il est furieux de leurs escroqueries à l’hypothèque. Aucun prêteur professionnel ne touche à ça, et ils n’apprécient pas beaucoup leur concurrence déloyale. De plus, les méthodes brutales de Priscillus rendent des tas de gens nerveux, et ce n’est pas bon pour leurs affaires.
— Et qu’arriverait-il, demandai-je, si les deux groupes fusionnaient ?
— D’après ce que j’ai pu comprendre, c’est bien ce que tout le monde craint, répondit Petro.
Il accompagna ses paroles d’une vilaine grimace.
Je restai un moment à réfléchir en silence. Maintenant que j’avais une idée sur la façon dont fonctionnaient les consortiums des Hortensius et de Priscillus, je me disais que s’ils avaient la possibilité d’engranger d’énormes bénéfices, ils devaient aussi faire naître de féroces jalousies, en cherchant à amasser toujours plus. Les pauvres s’habituent à se débrouiller avec ce qu’ils ont ; les riches n’en ont jamais assez.
— Merci, Petro. Tu n’as rien à ajouter ?
— Si. Mon Syrien a ajouté que si tu comptais t’attaquer à Appius Priscillus, je devais d’abord te demander où se trouvait ton testament.
— Ma mère le sait, répondis-je d’une façon laconique.
Il m’examina de ses yeux marron et paisibles.
— N’oublie pas de porter une protection sous ta tunique, et glisse une dague dans ta botte ! Et en cas d’ennuis, préviens-moi tout de suite.
J’acquiesçai d’un signe de tête, et il partit reprendre son service. Je restai un moment à méditer en finissant mon gobelet.
Je n’irais pas jusqu’à dire que j’éprouvais de l’appréhension, mais je n’en avais pas moins la chair de poule.
Sans doute pour ajouter encore à mes alarmes, je pris le parti d’aller voir Severina.
— Comme promis, je viens au rapport.
— Comment va mon perroquet ?
— On m’a rapporté qu’elle se sentait tout à fait chez elle…
Je lui décrivis néanmoins les dommages causés par Chloé, en prenant bien soin de ne pas mentionner que c’était mon mobilier et mon appartement qui en subissaient les conséquences.
— Qu’est-ce que tu croyais ? rétorqua la chercheuse d’or, visiblement en colère. C’est une femelle pleine de sensibilité. Il faut l’habituer progressivement à son nouvel habitat.
Je souris, non pas en pensant à Chloé, mais plutôt à Helena Justina qui avait accepté de venir planter sa tente à mon point d’eau.
— Qu’est-ce que tu trouves si drôle, Falco ?
— Il va certainement falloir l’attacher à son perchoir.
— Non, surtout pas ! Si elle essaye de voler, elle va tomber et rester pendue par une patte !
— Je croyais que tu avais envie de t’en débarrasser ?
— Exact. Chloé était un cadeau de Grittius Fronto, dont j’aimerais oublier la malignité le plus vite possible.
— Ne t’en fais pas. Ton plumeau à poussière est chez une personne sensible qui a acheté une cage adéquate… En fait, je suis venu te parler d’un autre genre de rapaces. Alors, assieds-toi et essaie d’avoir les idées claires. Et puis, je t’en prie, oublie le couplet : « Je ne suis qu’une pauvre femme
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