Une veuve romaine
tant est qu’elle allait le revoir)…
— Helena, mon cœur, m’excusai-je platement, tu sais bien que tu es partout avec moi.
— Philosophie au rabais.
— Donc simple et, par conséquent, vraie !
Non ! Pour elle, « au rabais » se traduisait par : « peu convaincante ». Elle croisa les bras.
— Falco, je suis une femme. Je m’attends donc à ce que ma loyauté aille de soi aux yeux d’un homme. Je sais que ma place est de t’attendre à la maison jusqu’à ce que tu arrives ivre, blessé, ou les deux…
Inconsciemment, je croisai aussi les bras. Un affreux bleu, sous l’un de mes coudes, devint visible.
— Helena, je ne suis pas ivre.
— Tu as pris des coups !
— Rien de grave. Écoute, ne nous disputons pas. Je suis plongé jusqu’au cou dans mon enquête, et j’ai suffisamment d’ennuis comme ça.
— Oh ! bien sûr, j’oubliais, persifla-t-elle. Tu es un homme ! La moindre remontrance fait ressortir le pire en toi.
Quelquefois, je me demandais ce qui me poussait à me laisser accabler de reproches par une harpie qui choisissait toujours mal son moment. Comme je n’étais pas de service et que j’avais abaissé ma garde, je me laissai aller à dire à Son Altesse ce que je pensais de sa langue effilée, de ses sautes d’humeur, et de son manque total de foi en moi.
Il y eut un moment de silence.
— Marcus, dis-moi où tu étais.
— Les yeux dans les yeux avec la chercheuse d’or.
— Oui, commenta tristement Helena, c’est exactement ce que je me suis dit.
Son ton impliquait qu’elle venait de broyer du noir. Je l’examinai en détail. Son idée de broyer du noir était de se glisser dans une robe rouge carmin, d’orner ses cheveux d’une espèce de couronne en verre représentant des jacinthes, puis de faire joyeusement la fête en famille. Je m’apprêtais à répondre par une plaisanterie, quand un jeune homme sortit du salon à son tour.
En l’honneur de l’anniversaire de la tante du sénateur, il s’était drapé dans une toge dont l’apparence luxueuse faisait apparaître ma tunique de travail encore plus minable. Sa coupe de cheveux était impeccable, et il s’était posé une guirlande brillante sur la tête. Il avait cet air soigné et aristocratique qui plaît à la plupart des femmes, même si l’effet n’est dû qu’à une phénoménale arrogance.
Il s’attendait visiblement à ce que Helena fasse les présentations. Elle s’en garda bien. Au contraire, elle paraissait ennuyée par sa venue.
Je lui adressai un sourire des plus accueillants, avant de m’enquérir :
— Tu fais partie de la famille ?
— C’est un ami de mes frères, répondit Helena à sa place.
Elle avait vite recouvré son sang-froid.
L’aristo avait l’air très étonné par ma présence plébéienne, mais elle sut le remettre à sa place avec son franc-parler habituel.
— Falco et moi aimerions continuer de parler affaires, si tu n’y vois pas d’inconvénient.
Dompté, il rentra dans le salon.
Je fis un clin d’œil à Helena.
— Tu me disais donc que c’était un ami de tes frères, hein ?
— C’est un rassemblement d’ancêtres. Mes parents l’ont invité pour qu’il me fasse la conversation. Toi tu n’étais pas joignable.
— C’était mieux comme ça, chérie. De toute façon, ils n’auraient pas voulu de moi.
— Falco, peut-être que moi, j’aurais voulu de toi.
— Tu sembles t’être consolée.
— Je suis bien obligée ! m’accusa-t-elle. Père t’aurait invité, mais qui sait où tu habites, maintenant ?
Je lui indiquai ma nouvelle adresse. Elle commenta aimablement que son père saurait enfin où m’envoyer la couche dont il souhaitait se débarrasser.
— Père a essayé de te joindre de toute urgence, hier. Il a eu la visite d’Anacrites.
— Cet homme est une véritable peste ! jurai-je.
— Il va vraiment falloir que tu prennes une décision, Marcus. Comment peux-tu faire ton travail avec tous ces types qui te courent après ?
— Je vais m’en occuper.
— C’est promis ?
— Oui. Ma vie devient impossible.
Je remis ma nouvelle adresse sur le tapis.
— Je vis dans deux pièces, ajoutai-je. Une troisième sera mon bureau, et il en reste donc une qui pourrait être à toi. Tu sais ce que je veux…
— Quelqu’un de tolérant pour tenir ta maison et t’offrir gratuitement sa compagnie dans ton lit – et capable aussi de détruire la vermine qui va ramper
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