Une veuve romaine
pointu faillit me mordre, et plusieurs prostituées m’adressèrent des quolibets. Puis, quand j’atteignis enfin la Piscina Publica et parvins à trouver ma rue, je ne remarquai même pas qu’une mini-garde prétorienne attendait pour m’accueillir, munie d’un mandat portant la signature d’Anacrites. De jeunes recrues à la poitrine resplendissante de cuivre et au visage enfantin, apparemment ravies d’exécuter leur première mission en arrêtant un dangereux malfaiteur portant le même nom que moi, s’empressèrent de me mettre les chaînes aux pieds.
Dès qu’ils y furent parvenus, je m’étendis sur la route en les prévenant que j’irais où ils voudraient, mais qu’il faudrait qu’ils me portent.
Je passai les deux jours suivants à me remettre de ma cuite, dans la prison de la Lautumiæ.
22
Dès le deuxième soir, j’avais renoué des liens avec mon ancien compagnon de cellule : le rat. J’avais beau essayer de me recroqueviller dans un coin de façon à ne pas le déranger, cela ne l’empêchait pas de me regarder d’un air de plus en plus vorace. Mais je fus obligé de le décevoir une nouvelle fois. On m’annonça rudement que « quelqu’un de très influent » avait daigné examiner mon cas.
Deux jeunes prétoriens étaient venus me chercher. Je commençai par résister. Après cette épouvantable gueule de bois, je me sentais la tête vide. Je n’étais pas en état de me trouver confronté à Anacrites, ni surtout aux brutes qu’il utilisait pour encourager les confessions. J’avais tort d’avoir peur d’eux : Anacrites avait prévu de me laisser croupir en prison jusqu’à ce que je sois incontinent et édenté. En ponctuant son annonce d’un coup de pied dans le genou, le geôlier me précisa que c’était « un gros bonnet » qui avait demandé à me voir. La pétition destinée à Titus avait dû atterrir sur le dessus du tas.
Les jeunes prétoriens ne parvenaient pas à cacher leur excitation à la pensée d’assister à une audience impériale. Dans le passé, la garde impériale s’était plutôt fait une spécialité de remplacer le César confié à leur garde par n’importe quel individu attirant leur regard, après une nuit passée à faire ribote (Claude, au nom du ciel ! – pour ne pas parler d’Othon, ce cataclysme ambulant). Ce n’était plus le cas. Lors de l’avènement de son père, Titus avait fort habilement pris le commandement des prétoriens. Depuis, dans la mesure où il se montrait généreux avec eux le jour de son anniversaire, ils s’avéraient aussi fidèles à leur commandant que les bardanes à la jupe d’une bergère. Et maintenant, grâce à moi, Proculus et Justus (si jamais on vous arrête, essayez toujours de savoir comment s’appellent vos gardes) allaient se retrouver devant leur nouveau préfet, au cours de leur première semaine d’enrôlement.
Ils étaient si imbus de leur propre gloire qu’ils se montrèrent assez indélicats pour me faire traverser tout le Forum encore enchaîné. Mais leur uniforme était encore trop neuf pour qu’ils aient perdu tout sentiment charitable. Ils me laissèrent me désaltérer à une fontaine, avant de m’entraîner dans la fraîcheur du Cryptoportique, la longue galerie menant aux divers palais qui couronnent le mont Palatin. À l’extérieur de la salle de garde, leur centurion, un vieux dur à cuire, leur ordonna de m’enlever les chaînes. Il connaissait les bonnes manières. Entre vieux soldats, nous échangeâmes un bref regard de reconnaissance, avant qu’il n’inspecte ses jeunes recrues pour vérifier que leur ceinture ne pendouillait pas, et qu’il n’y avait aucune tache sur leur armure. Il nous accompagna en direction de la salle du trône, très nerveux à l’idée que ses gamins puissent faire un faux pas.
Dans la première salle d’attente, un huissier prétendit n’être au courant de rien en ce qui concernait mon triste sort ; il nous parqua tous les quatre seuls dans un cagibi. Proculus et Justus ne tardèrent pas à montrer des signes de nervosité. Le centurion et moi avions subi assez souvent cette stupide quarantaine pour savoir prendre notre mal en patience.
Quelqu’un finit par nous conduire le long d’un couloir où allaient et venaient des tas de gens en toge, l’air fatigué. Proculus et Justus échangèrent un regard expressif : ils s’attendaient à être retenus par tout ce cérémonial, longtemps après que leur tour de
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