Vengeance pour un mort
petit frère et de ma petite sœur, des jumeaux, depuis leur naissance. Je vais la prévenir qu’elle est redevenue bonne d’enfants. Quant à moi, je peux partager sa servante avec maîtresse Bonafilla. Elle n’a pas grand-chose à faire, me semble-t-il.
— Maîtresse Bonafilla m’a l’air d’être timide.
— Ne le croyez pas. Elle est nerveuse et de mauvaise humeur, mais ça lui passera. Elle est à un âge difficile.
Maîtresse Ruth soupira et secoua la tête.
— Un âge difficile, dites-vous ? Mais qu’est-ce qui la rend aussi nerveuse ? Le mariage ?
— Je l’ignore. Je suppose que c’est ça. J’espère qu’elle descendra souper. Sinon, j’irai moi-même la chercher. Elle n’a pas quitté le lit depuis qu’elle est arrivée, et je puis vous assurer qu’elle va parfaitement bien.
— Oh non, maîtresse Raquel. Elle n’est pas venue dîner, mais avec sa servante elle a profité du calme de l’après-midi pour aller se promener. C’est ma cuisinière qui me l’a dit : elle les a vues sortir de la maison quand tout le monde faisait la sieste. Les voyages poussent à d’étranges choses, assurément.
Avant même que Raquel eût la possibilité de s’étonner de la soudaine envie d’exercice de Bonafilla, celle-ci apparut dans la cour, vêtue d’une robe fauve qui mettait en valeur sa chevelure et ses yeux. De la même couleur, son voile était fixé sur le sommet de son crâne et, pour une fois, il ne recouvrait que partiellement son visage. Raquel se rendit compte qu’elle était l’objet d’un regard furibond de la part de la fiancée qu’elle avait abandonnée, et cette dernière rejeta la tête en arrière avant de rejoindre son père. Sur le pas de la porte, Ester ne la quittait pas des yeux.
Jacob se retourna et fit signe à un jeune homme qui était de toute évidence son frère. Celui-ci acquiesça et s’approcha d’un pas assuré pour s’incliner, d’abord devant Astruch puis devant Bonafilla. Elle lui répondit d’une profonde révérence et elle lui tendit la main. Il la conduisit à table et prit place à ses côtés.
— Il est certainement très beau et très sûr de lui, dit Raquel à Ruth. Comme un jeune seigneur.
— Oh oui, répondit Ruth, elle aura du mal à le faire plier si c’est ce qu’elle a en tête. Mais il a été très impressionné par sa beauté – il a vu un portrait d’elle – et il a toujours désiré disposer d’une fortune lui permettant de prendre son indépendance par rapport à Jacob.
— Il est bien tombé. Elle lui arrive couverte d’or.
— Ses parents ont laissé une belle part d’héritage à David. Même sans elle, il n’aurait jamais été pauvre, mais il caressait l’idée de trouver en une seule et même personne beauté et richesse.
Elle s’arrêta de parler et porta la main à sa bouche avant d’adresser un regard bouleversé à Raquel.
— J’ignore pourquoi je vous dis tout ça. Ce n’est pas très aimable de ma part. Ordinairement, je n’ai pas des propos si…
— Directs ? C’est le jour qui veut ça, maîtresse Ruth. Vous êtes si fatiguée que vous proclamez tout haut la vérité.
Et Raquel songea que Jacob Bonjuhes avait mieux choisi son épouse que son frère, David.
— Bonafilla pourrait beaucoup apprendre rien qu’à vous observer, ajouta-t-elle.
— Je ne crois pas. Je suis timide et renfermée en compagnie. Je n’ai pas sa grâce. Mais venez, prenons place à table nous aussi.
Quand Raquel s’approcha de la table, accompagnée de Ruth Bonjuhes, elle remarqua deux choses. Ruth allait avoir un autre enfant et Bonafilla riait, discrètement, de quelque chose que David venait de lui dire.
Les premiers ennuis se présentèrent le lendemain matin à la maison du médecin. Ils furent rapportés par la cuisinière. Elle était partie à l’aube au marché aux poissons, puis au marché aux volailles et à la viande, pour tenter de dénicher les poissons les plus frais, les poulardes les plus dodues, et surtout suffisamment de commérages pour alimenter une journée de travail ininterrompue.
— C’est ce qu’on raconte, maîtresse. Pas au marché, le Seigneur en soit remercié, mais ici, dans le Call.
— Tu en es sûre ? dit Ruth, qui, sous l’effet de la surprise, reposa un gros paquet de légumes.
Elle était descendue à la cuisine pour voir ce que la cuisinière et la souillon avaient rapporté.
— Un de ces cathares, voilà ce qu’on dit de lui.
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