Vengeance pour un mort
papier.
Il le lut pour lui-même, puis à haute voix.
« Maîtresse Ruth, je crois qu’en ce moment vous pourriez en appeler aux services de la fille de ma voisine, Jacinta. Elle a neuf ans, et elle est honnête et travailleuse. Pour des raisons personnelles, ça lui ferait du bien d’être dans une maison comme la vôtre. Si elle ne convient pas, renvoyez-la après le départ de vos invités. »
Jacob releva la tête.
— C’est signé d’un E, rien de plus.
— L’amie de ma maman s’appelle Esclarmonda, dit la petite fille. C’est elle qui m’a envoyée.
— Et quelles raisons t’a-t-elle données ? lui demanda Jacob.
— C’est Esclarmonda qui vous a confié le malade. Elle sait qu’il lui faut beaucoup de soins. Et puis elle a appris que vous aviez un mariage à la maison, avec des invités. Elle s’est dit que vous auriez besoin d’aide, señora, et moi, j’y suis habituée. Je m’occupais aussi du malade quand il était chez elle.
— C’est exactement ce qu’il nous faut, dit David. Non seulement nous abritons un patient chrétien, que la rumeur dit être un cathare, mais nous avons de plus une servante chrétienne. Combien de lois allons-nous violer avant que je ne sois marié ?
— Ce n’est pas vrai, dit Jacinta avec beaucoup de sérieux. Moi aussi, je suis juive. C’est maman qui le dit.
— Ta mère l’est-elle ? lui demanda Isaac.
— Oui, messire.
— Et ton père ? voulut savoir David.
La gamine haussa les épaules.
— Cela expliquerait pourquoi elle veut qu’elle vienne ici, dit Ruth.
— Où habite ta mère ? s’enquit Jacob.
— Au Partit, messire. Ce n’est pas très loin…
CHAPITRE VIII
Raquel n’était pas d’excellente humeur quand elle prit Bonafilla par le coude pour se lancer dans l’exploration forcée de la ville de Perpignan. Elle était munie de conseils destinés à la guider dans le labyrinthe de rues qui s’étendait à l’ouest et au nord du Call et elle avait été prévenue des conséquences terribles si elle s’égarait. Elle était assistée d’un jeune garçon, qui avait pour mission d’empêcher les deux femmes de se perdre en route mais aussi, du haut de ses dix ans, de les défendre s’il le fallait. À le voir, on aurait cru qu’une énorme responsabilité pesait sur ses épaules.
Raquel se fraya un chemin parmi la foule des chalands du matin et entraîna Bonafilla dans cinq échoppes différentes. À l’arrière de chacune d’elles, des ateliers produisaient les habits au superbe fini qui faisaient la réputation de la ville. À cinq reprises, elles examinèrent de la soie ou de l’étoffe de laine, mais elles n’achetèrent rien. Dans ces cinq échoppes, Bonafilla demanda aux commis de déballer les rouleaux dans la rue afin qu’elle les vît mieux ; et, chaque fois, ils les remirent en place.
Lassée par ce manège, Raquel poussa sa compagne vers le magasin d’un gantier.
— Entrons, dit-elle. Je veux voir quelque chose.
L’endroit était paisible, à peine éclairé par deux fenêtres ; cela sentait bon le cuir frais. Un homme portant un tablier de cuir sortit de l’arrière-boutique et posa une paire de gants sur un comptoir. Il affichait un air de plaisante prospérité.
Au premier regard, Raquel comprit qu’ils étaient différents de tous ceux vus jusqu’ici. Intriguée, elle sourit à l’artisan et en prit un.
— Puis-je l’examiner ? demanda-t-elle.
— Certainement, madame, répondit le gantier.
Raquel le contempla avec soin, de la couture des doigts au fini du poignet. Des pièces de cuir fin en forme de losange, mesurant chacune à peine plus d’un pouce de long, étaient assemblées les unes aux autres pour former le dos de la main. De petites perles étaient cousues sur les quatre losanges du centre. Le reste était uni. Le motif complexe avait toutefois un air très sobre. C’était le travail d’un maître artisan.
— Je viens de les achever, dit l’homme derrière son comptoir. J’ai fait le dernier point au moment où vous poussiez la porte.
— Ils sont superbes, s’extasia Raquel. Le motif est agréable à l’œil. Ces losanges permettent d’utiliser de petites chutes de cuir, sans aucun doute.
— Je vois que Madame s’y connaît en gants. Ceux-là ont été faits pour une dame qui tenait à ce que ses gants soient parfaitement ajustés. C’est pour elle que j’ai imaginé cette forme. Mais passez-en un, maîtresse, et vous verrez comme
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