Vengeance pour un mort
il caresse la main.
Le gant était trop grand pour elle, mais très agréable à porter ainsi que le disait son créateur.
— Bonafilla, dit-elle, venez voir.
Comme elle n’obtenait pas de réponse, elle posa à nouveau sa question et se retourna. Il n’y avait personne derrière elle. Elle était seule dans l’échoppe avec l’artisan.
— La jeune maîtresse a franchi la porte il y a un instant, pour prendre l’air, sans aucun doute, ajouta-t-il avec tact. Pere, ramène la dame à la robe vert et noir.
Le jeune apprenti obtempéra et revint peu après avec Bonafilla.
— Que pensez-vous de ceux-ci ? lui demanda Raquel comme si de rien n’était.
— Ils sont trop grands pour vous, répondit Bonafilla qui préférait observer le matou couché dans la vitrine.
— Je le sais, mais en dehors de ça, qu’en dites-vous ? Ils sont superbement faits. Vous aimeriez peut-être en commander une paire ?
— Certainement, mais pas aujourd’hui. Je crois que je vais ressortir. Il fait trop chaud ici.
Raquel la regarda partir avec étonnement. Le soleil matinal frappait à peine les fenêtres de l’atelier du gantier et la température n’était pas très élevée. Elle-même frissonnait. Comment Bonafilla pouvait-elle avoir trop chaud ? Postée dans la rue, elle semblait guetter le moindre passant : elle attendait quelqu’un, de toute évidence. Raquel était exaspérée. Elle ne s’attendait pas à devoir jouer le rôle de chaperon et de geôlière en plus de celui de compagne.
— La jeune dame ne va pas bien ? demanda le boutiquier. Puis-je vous aider en quoi que ce soit ?
— Non, tout va bien, dit-elle, l’air imperturbable, sauf que nous venons d’arriver à Perpignan. Mon amie doit se marier et s’installer ici. Elle voulait passer la matinée dans les échoppes, mais cet environnement peu familier a dû jouer sur ses nerfs.
— C’est très compréhensible, fit l’artisan qui montrait de plus en plus d’intérêt pour la riche tenue de Bonafilla.
— Moi-même ne suis là que pour le mariage, reprit Raquel, sinon je serais tentée d’en commander une paire pour moi-même. Mais il est clair qu’un aussi beau travail ne peut s’effectuer en un jour ou deux.
— Effectivement. Leur facture exige du temps. Si Madame n’avait pas des mains aussi fines, elle pourrait acheter ceux-ci. Avant même leur achèvement, la dame qui les a commandés fut dans l’impossibilité de venir les chercher…
— Morte ?
Il hocha la tête, l’air attristé.
— Brusquement, de surcroît. Elle aussi achetait des habits de noces, et aujourd’hui elle laisse son bien-aimé dans le désespoir…
— Et vous avec une paire de gants à la fois beaux et peu ordinaires, ajouta Raquel avec sympathie. De plus, je pense qu’elle ne les a pas réglés. Combien en voulez-vous ? Je sais qu’ils ne me vont pas, mais ils iraient à ma cousine. Et nous avons à Gérone des gantiers susceptibles d’y apporter de minimes retouches si cela s’avérait nécessaire.
— Douze sous.
— Voilà un prix élevé pour des gants qui n’iront peut-être pas à…
— Onze.
Raquel resta impassible.
— Mais puisque vous appréciez les beaux gants plus que la plupart des dames qui entrent chez moi, je vous les laisserai pour dix, maîtresse.
La seule réponse de Raquel fut de dénouer les cordonnets de sa bourse et d’en sortir dix lourdes pièces d’argent. Le boutiquier enveloppa les gants dans un morceau d’étoffe de soie afin de les protéger. Elle glissa le petit paquet sous sa cape au moment où Bonafilla revenait.
— Pourquoi avoir acheté ces gants ? lui demanda la fiancée quand elles furent sorties de l’échoppe. Ils ne vous vont pas.
— Je les ai pris pour Daniel, répondit Raquel. Il cherche toujours de nouveaux motifs, et cette paire diffère de ce que l’on trouve chez nous. Cela l’intéressera. Quand il les aura étudiés, il les transformera pour qu’ils m’aillent. Pourquoi êtes-vous ainsi sortie ? Vous ne vous sentez pas bien ?
— Ce n’est pas ça. Cela va parfaitement. Seulement…
Elle se retourna et s’éloigna d’un pas rapide.
— Bonafilla, dit Raquel quand elle l’eut rattrapée et prise par le bras, que se passe-t-il ?
— Rien, répondit la jeune fille en accélérant. J’en ai assez d’être questionnée, je ne le supporte plus.
— De toute évidence, quelque chose ne va pas. De quoi s’agit-il ? Et qui
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