Vengeance pour un mort
Et ça va nous apporter des embêtements, pas vrai, maîtresse ?
— Certainement pas. C’est un marchand de Carcassonne et un juif, comme tout le monde ici, enfin presque, ajouta-t-elle puisque des chrétiens possédaient des maisons et habitaient dans le Call, de même qu’il y avait à l’extérieur du Call des maisons dont des juifs étaient les propriétaires et les occupants. En tout cas, il n’est pas de ceux-là.
— Oui, ma mie, c’est bien ce qu’on raconte, dit Jacob Bonjuhes à sa femme qui l’avait envoyé aux nouvelles.
— Mais ça fait des années qu’il n’y a pas eu de cathares par ici, une éternité ! Comment pourrait-on le savoir ?
— Pour les gens, il en est toujours resté dans les montagnes. C’est ennuyeux, nous aurions dû dire qu’il était de Valence, pas de Carcassonne.
— Oui, pour qu’ils aillent proclamer partout que c’est un Maure. Vous savez comment c’est…
— Je crois qu’il vaudrait mieux parler de tout ça avec David, dit Jacob. J’aimerais aussi qu’Isaac fût présent. Il est très discret et d’une grande sagesse. Et peut-être Bonafilla, puisqu’elle…
— Je ne pense pas qu’il soit très sage de l’accabler de nos problèmes. Elle a déjà beaucoup de sujets de réflexion. Raquel pourrait peut-être l’emmener se promener. Je suis certaine qu’elle aimerait se rendre chez certains marchands. Chez le gantier ou le négociant en drap, par exemple. Il y a ici tout ce qu’il faut pour combler une jeune dame élégante comme Bonafilla.
C’est ainsi que Yusuf fut envoyé auprès du patient, que Raquel, surprise, dut traîner Bonafilla vers les quartiers de la ville où le prospère commerce des étoffes avait ses magasins et que le reste de la famille se retrouva dans la cour pour discuter de ce nouveau problème.
— Pensez-vous que quelqu’un rapportera cette rumeur aux autorités ? demanda Isaac. C’est plus important que de savoir la véracité de ladite rumeur.
— Non, répondit David d’une voix assurée, de sorte que chacun se tourna vers lui, étonné. Moi aussi je suis sorti ce matin et j’ai entendu ce qui se disait. Il semble que le bruit soit né hier soir parmi des buveurs. Aujourd’hui, naturellement tout le monde est au courant. Mais les gens disent surtout que les autorités ne doivent rien apprendre, sinon les chrétiens de la ville mettront le Call à sac et nous traîneront devant l’Inquisition, il est formellement interdit de cacher des hérétiques.
— C’est mieux que rien. Qu’allons-nous décider ? dit Jacob.
— Débarrassons-nous de lui. Vous m’en voyez désolé, mon frère, mais c’est la seule chose sage à faire.
— Cela ne vous aidera en rien, déclara Isaac. À moins de le livrer vous-même aux autorités et de dire que vous venez d’apprendre ce qui se raconte. Il y aura quand même enquête. Car l’on vous accusera d’avoir dissimulé un hérétique, de toute façon, et votre revirement sera imputé aux rumeurs. On dira que vous l’avez livré par peur de vous faire prendre – la lâcheté au lieu de la vertu.
— Il a raison, David. Et ce serait criminel que de le déplacer à présent. Je veux bien contourner un règlement, mais pas tuer un homme, un patient, de sang-froid. Mais penser qu’il est cathare ! En ce qui nous concerne, ce serait bien pis que de reconnaître qu’il est chrétien. Si quelqu’un apprenait que nous soignons un chrétien dans le Call, tout au plus devrions-nous payer une amende.
Ils se regardaient tous en silence quand la cuisinière apparut sur le pas de la porte.
— Excusez-moi, maîtresse, dit-elle avec humeur, mais comme on ne répond pas à la porte, j’ai quitté mon ouvrage pour voir ce que c’était.
— Y a-t-il un problème ?
— Je n’en sais rien, mais il se trouve là une personne qui veut vous voir. Elle a une lettre, ou ce genre de chose.
— Merci, ma fille. Je vais veiller à ce que quelqu’un réponde à la porte désormais, dit Ruth. Fais-la entrer.
La personne en question était une petite fille de huit ou neuf ans, propre sur elle. Elle fit la révérence et tendit une lettre scellée.
— Maîtresse Ruth ?
— Entrons, veux-tu ? proposa Ruth en posant une main ferme sur son épaule.
Le message était bref et clair. Ruth commença à le lire puis elle saisit l’enfant par le bras et la ramena dans la cour.
— Jacob, aidez-moi à décider, dit-elle en lui tendant le morceau de
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