Vengeance pour un mort
réveilla. Raquel lui donna de l’eau et il retomba dans la somnolence. Quand Isaac revint, le patient semblait à moitié conscient et gémissait doucement. Le médecin fit signe à sa fille de se taire et il s’assit auprès de lui.
— Êtes-vous réveillé, señor ?
— Je le crois, fit-il d’une voix vague.
— Éprouvez-vous de la douleur ?
— Oui, mais elle est très lointaine. Si lointaine que je la sens à peine.
— Nous avons replacé vos membres. Ils devraient guérir et vous être à nouveau utiles.
— La douleur importe peu, dit l’homme. Je ne dois pas mourir. Pas encore…
Et il se rendormit.
La fois suivante où il reprit conscience, ses yeux et son langage étaient limpides, et Raquel envoya chercher son père.
— Hola, señor, l’accueillit le patient, vous devez être le médecin.
— C’est moi, effectivement. Je vous ai remis les os en place.
— On me l’a dit il n’y a pas si longtemps. Mais je vous ai déjà parlé, n’est-ce pas ?
— Quand je suis venu pour la première fois. Jacob Bonjuhes m’a appris que vous êtes un marchand juif. Puis vous m’avez dit venir de Carcassonne et souffrir d’arthrite. Je suis heureux de vous apprendre que le choc provoqué par vos blessures a guéri votre arthrite et assoupli vos articulations. Il vous a aussi fait changer de religion.
— D’accord, señor, je reconnais que je ne suis pas juif.
— Ce fut évident dès l’instant où nous avons rejeté les draps pour vous examiner, expliqua Isaac.
— Maître Jacob craignait…
— Je sais parfaitement ce que craignait maître Jacob, mais de moi, il n’a rien à redouter. Il est plus facile de soigner un homme quand on sait qui il est et ce qu’il est.
— Je ne vois pas en quoi. Un os brisé n’est-il pas le même chez un chrétien et chez un juif ? Un riche et un pauvre ? Un paysan et un seigneur ?
— Nullement, señor, et pour bien des raisons que je vous exposerai quand vous serez plus vaillant.
— Bon. Jusque-là, je vous croirai. Mon passé est assez commun, cependant. Je suis issu d’une vieille famille de bonne réputation. Du moins c’est ce que l’on m’a toujours raconté. Sa fortune a été mise à mal par les épreuves, la peste, mais aussi la cupidité et la stupidité de mes ancêtres. Ils ont perdu de l’argent dans toutes les entreprises hasardeuses qu’ait connues le Roussillon.
— Il est souvent vrai que ceux qui perdent leur argent et leur pouvoir se lancent dans des entreprises absurdes pour tenter de les récupérer, dit Isaac.
— C’est exact. Vous décrivez mon père et mon grand-père avec une précision extrême. Mais, n’étant pas aussi fier et stupide que mes ancêtres, j’ai suivi le conseil d’un serviteur et j’ai épousé la fille d’un marchand. Je suis par conséquent assez fortuné pour vous payer ainsi que maître Jacob. J’ai également trouvé l’existence assez agréable pour m’y accrocher.
— Alors, señor, il vous faut lutter pour rester en vie. Ma fille, Raquel, et mon apprenti, Yusuf, vous veilleront. Faites ce qu’ils vous disent. En cas de besoin, ils viendront me chercher.
— Et vous êtes ?
— Isaac, médecin de Gérone.
— À propos de qui l’on raconte des choses prodigieuses. Je suis très honoré, maître Isaac.
Et le patient retomba dans le sommeil.
Raquel demeura auprès du patient jusqu’au crépuscule. Il était éveillé par intervalles : elle l’obligeait alors à boire du bouillon et une préparation à base d’orange amère et de menthe, elle lui donnait une goutte de potion contre la douleur puis elle le regardait sombrer à nouveau dans un sommeil dû à l’épuisement. Elle avait chaud et se sentait sale, était agitée et ses yeux étaient lourds de sommeil. Elle s’était assise sur un siège peu confortable et sommeillait quand Yusuf arriva.
— Comment va-t-il ? demanda le jeune garçon.
— Il dort. S’il s’éveille à nouveau, essaye de lui faire prendre du bouillon et une boisson fraîche.
— Vous devriez vous hâter. La famille et les invités se rassemblent dans la cour.
— Tu as mangé ?
— Bien sûr. À la cuisine, avant de venir ici.
— Et tu as choisi les meilleurs plats, sans aucun doute.
Raquel se dirigea vers l’autre partie de la maison et calcula qu’elle avait le temps, avant de se joindre aux autres pour souper, de se débarrasser de la poussière du voyage, de troquer sa robe sale contre
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