Vengeance pour un mort
ennemis.
— Et votre épouse vous donne des chemises de lin fin mais, par ailleurs, des habits déchirés et ravaudés.
— C’est ma façon de repousser l’envie, dit le patient. Je suis épuisé, mon bon médecin. Je dois dormir.
Yusuf ouvrit la porte de la chambre.
— Seigneur, on vous appelle au repas.
— Et ton patient a besoin de repos. J’ai abusé de ses forces.
CHAPITRE IX
Le lendemain, la maison baignait dans le calme du sabbat. Une cuillerée de flan avait été ajoutée au régime d’œuf et de bouillon du malade ; il dormait moins et parlait plus à ses gardes-malade, mais il ne disait jamais rien qui touchât à son passé ou à ses blessures.
Après avoir confié le patient à Raquel, Yusuf s’en alla trouver le médecin.
— Puisque l’on n’a pas besoin de moi, seigneur, je songeais à explorer la ville.
Chaque sabbat, il avait coutume de quitter la maison et de se promener, liant amitié et satisfaisant sa curiosité à propos de tout ce qui l’entourait.
— Certainement, répondit Isaac. Jouis de la paix tant qu’elle dure.
Mais ce n’était pas la paix que Yusuf recherchait. Il endossa sa vieille tunique, cacha dans sa besace une bourse contenant quelques pièces et se dirigea vers la grande artère centrale – assez large pour accueillir une charrette –, celle qui menait aux portes du Call.
Quand il les eut franchies, il se retrouva dans un tourbillon de gens qui couraient dans toutes les directions. Coincé entre deux robustes mégères, il se laissa entraîner vers l’ouest et descendit ainsi une colline qui conduisait à la partie centrale de la ville. À mi-chemin, il s’échappa dans une ruelle transversale encombrée et déboucha dans une rue encore plus animée où orfèvres et joailliers avaient établi leurs commerces. Leurs marchandises ne présentaient que peu d’intérêt à ses yeux. Il s’adressa à la première personne qu’il vit, un homme vêtu d’une tunique miteuse, et posa la main sur son bras.
— Quel est ce bâtiment ? demanda-t-il en se tournant vers la droite.
— La prison royale, dit l’homme à la tunique, et vu ton allure, petite racaille, c’est là que tu devrais aller. Ôte ta main de ma manche.
— Soyez remercié pour votre courtoisie, répondit Yusuf en s’inclinant très bas.
Il prit à gauche. Il suivit les bruits et les odeurs qui le menaient directement au marché en plein air. Fruits, poissons, volailles et viandes étaient déjà achetés, mais des ménagères peu fortunées cherchaient encore à emplir leurs paniers avec ce qui restait. Il s’acheta un petit pain et de la viande grillée qu’il fourra dedans, puis il continua son chemin.
De l’autre côté du marché, les marchands de guenilles retinrent un instant son attention ; il examina avec intérêt une tunique sale et déchirée. Elle lui permettrait de se fondre parmi les bonimenteurs et les voleurs qui peuplaient les environs. Mais sa fortune était limitée et il passa son chemin. Il arriva dans une autre rue qui lui parut intéressante, tourna à gauche en direction du Call et se retrouva dans le quartier des orfèvres et des joailliers, au sud de la prison royale cette fois-ci.
Devant lui se dressaient les arches des premiers remparts de la ville. Il était arrivé au marché aux grains, où les charrettes qui entraient chaque matin amenaient céréales et farines destinées aux citadins. Blé, seigle, avoine, orge, millet et riz se présentaient en sacs ou en tonneaux – un spectacle superbe pour tous, sans aucun doute, mais sans intérêt pour lui. Sous les arches, où ils étaient protégés du soleil et de la pluie, des groupes d’hommes étaient assis en cercles grossiers, certains à même le sol, d’autres sur de vieilles caisses ou des tonnelets. Il se trouvait près de l’un de ces groupes quand il vit un individu grand et carré faire rouler des dés à terre.
— Ha, fit-il avec un accent guttural, c’est pour moi, Roger.
— Pas question, Gros, dit son voisin, c’est encore pour moi. Pas vrai, mon gars ? ajouta-t-il en se tournant vers Yusuf.
— Je ne t’ai pas vu lancer, répondit Yusuf en toute sincérité.
— Ce gamin ment pour sauver son copain , dit un homme mince à la peau et aux cheveux bruns.
Il parlait à son voisin dans une langue que Yusuf connaissait bien, mais qui échappait apparemment à tous les autres.
— Ta mère a fait de même , répliqua Yusuf avec cette élégante
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