Victoria
équivaudrait à la violation de plusieurs traités qui proscrivent une telle alliance entre les trônes de France et d’Espagne.
Le roi des Français confirme ce qu’il a dit naguère à Lord Aberdeen. Pour lui, il ne saurait être question du mariage de son fils, le duc de Montpensier, avec l’infante Luisa, avant que la jeune reine Isabella ne soit elle-même mariée et qu’elle ait des enfants.
La méfiance que Louis-Philippe inspire continue de faire planer en Grande-Bretagne la crainte diffuse qu’une situation de guerre avec la France ne vienne à éclater dans un avenir prochain. L’inquiétude se nourrit des difficultés que traverse le pays. En Irlande, la récolte de pommes de terre est plus désastreuse que jamais. Les gens meurent de faim par centaines de milliers. Peel achète en secret du blé américain, mais les cargaisons n’arrivent pas. Des œuvres de charité organisent des collectes de fonds, auxquelles la reine participe. Néanmoins, l’ampleur du désastre est effrayante. Les Irlandais qui le peuvent émigrent de plus en plus massivement vers l’Amérique.
À Buckingham Palace, Victoria rationne le pain. La mesure est dérisoire, sinon comme geste symbolique. La reine contribue financièrement au fonds de « Secours de l’extrême détresse des lointaines paroisses d’Irlande et d’Écosse », fondé par Lionel de Rothschild et Abel Smith.
Abroger les lois sur le blé devient plus qu’urgent. Sir Robert Peel y est désormais résolu ; cela lui vaut d’être désavoué par son propre parti. Il présente à la reine sa démission, et Lord John Russell, leader de l’opposition, ébauche un projet de gouvernement. Lord Grey insiste pour que Palmerston soit nommé aux Affaires étrangères. Mais la francophilie de Palmerston, et plus encore la brusquerie de sa diplomatie et la désinvolture dont il a fait preuve à l’égard de la Couronne, paraissent bien dangereuses.
En effet, la situation internationale est instable. En Amérique, un contentieux perdure avec les États-Unis pour définir la frontière entre l’Oregon et le Canada. En Extrême-Orient, une nouvelle guerre a éclaté avec les sikhs du Penjab, dans la vallée de l’Indus, entre l’Inde et l’Afghanistan. En novembre 1845, les généraux Hardinge et Gough ont remporté la bataille décisive de Ferozeshah. Ils ont obtenu que le jeune maharajah Dhulîp Sing fasse allégeance à la reine.
En Angleterre, la situation économique est très préoccupante. La fièvre de spéculation sur les chemins de fer crée une pénurie de liquidités, tandis que le « currency principle » interdit à la Banque d’Angleterre d’émettre plus de monnaie que ne le lui permet son stock d’or. Les taux d’intérêts montent. Les petits porteurs paniquent et leurs actions demeurent massivement invendables, faute de fonds disponibles. Une « famine de l’or » entrave l’économie du pays.
Il est indispensable de maintenir la stabilité politique. Dans les derniers jours de décembre, au moment des préparatifs de Noël à Windsor, Victoria convoque Sir Robert Peel. La reine demande à son Premier ministre de retirer sa démission et de rester aux affaires. « Je me sens comme un homme qui revient à la vie après qu’on a célébré son service funéraire », dit Peel à la comtesse de Lieven.
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« My Lords and Gentlemen ».
En ce 19 janvier 1846, de sa voix très aiguë, la reine prononce le discours d’ouverture de la session parlementaire. Elle est enceinte de quatre mois. Revêtue du manteau cérémoniel de velours écarlate et d’hermine, elle s’adresse aux membres des deux Chambres réunis.
« J’ai observé avec grand regret la fréquence avec laquelle le crime d’assassinat délibéré a été perpétré dernièrement en Irlande. »
Selon la tradition, ce texte a été rédigé par le Premier ministre. L’Irlande le préoccupe au premier chef. Il entend y rétablir l’ordre, mais veut surtout s’appuyer sur la famine qui la ravage pour abolir les lois sur le blé et rompre avec le protectionnisme.
« J’ai eu la satisfaction de donner mon approbation aux mesures que vous m’avez présentées, à plusieurs reprises, calculées pour étendre le commerce, et stimuler la technique et l’industrie domestiques, par l’abrogation des taxes prohibitives et l’allégement et le relâchement des droits de protection. »
Si la reine a maintenu Peel dans ses fonctions, nul ne
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