Victoria
essentiellement loyalistes et protestantes.
En Angleterre, les propositions de Peel soulèvent un tollé. Les protestants s’indignent de devoir payer davantage pour l’éducation de prêtres catholiques, dont il est peu probable qu’ils montrent jamais beaucoup de reconnaissance envers l’Angleterre et son Église réformée. Catholiques et protestants s’accordent enfin pour critiquer les « universités de la reine » qui, de leur point de vue, ne sont que des « universités sans Dieu ».
Chez les anglicans, l’émotion est d’autant plus vive que depuis une dizaine d’années l’Église établie est secouée par une crise spirituelle qui prend de l’ampleur. Certains professeurs de l’université d’Oxford s’alarment de la sécularisation croissante de l’Église anglicane. Une certaine vision du christianisme réformé semble inéluctablement paver la voie de l’agnosticisme et de l’athéisme. John Keble dénonce en cela une « apostasie nationale ». Edward Bouverie Pusey, Henry Edward Manning, Robert Wilbeforce et d’autres encore, non moins célèbres, militent en faveur d’un anglo-catholicisme de la Haute Église, dont les rituels se rapprocheraient beaucoup de ceux de l’Église catholique romaine. Ils diffusent leurs opinions par voie de tracts.
Ces « tractariens » du mouvement d’Oxford font des adeptes en nombre grandissant. Dans le « tract 90 », John Henry Newman va jusqu’à affirmer que les doctrines de l’Église catholique, définies par le concile de Trente, sont compatibles avec les 39 articles sur lesquels repose l’Église anglicane depuis sa fondation par Henry VIII. En cette année 1845, Newman franchit le pas et se convertit au catholicisme romain. Tout indique qu’il fera de nombreux émules.
Dans un tel contexte, les efforts que font Victoria et Albert pour cultiver une entente cordiale avec la France de Louis-Philippe prêtent le flanc aux pires malentendus. Des rumeurs ont couru, peu de temps avant leur mariage, sur le prétendu catholicisme d’Albert, au motif qu’une branche de sa famille est catholique. Le voyage que les époux royaux projettent de faire cette année en Allemagne contribuera peut-être à prévenir le retour de pareilles sottises.
Au mois de mai, à l’occasion de son bal annuel, Victoria rencontre pour la première fois le poète lauréat William Wordsworth. C’est un homme de 75 ans, au visage mélancolique, au crâne chauve ceint d’une couronne de cheveux blancs. Il a emprunté un habit de cour, ajusté tant bien que mal. Parmi les grands poètes du temps, Wordsworth. C’est sans doute le plus populaire et le plus universellement aimé. À l’instar des romantiques allemands, il a su exprimer très simplement le sentiment général d’une présence divine dans les beautés de la nature, l’authenticité des humbles et le caractère sacré de la personne humaine. Ses poésies apportent une consolation aux tourments du monde moderne apparemment dépourvu de spiritualité. Enthousiasmé par la Révolution française dans sa jeunesse, mais bientôt révolté par ses horreurs, il a rejoint, la sagesse venant, la pastorale chrétienne.
Victoria n’a jamais lu ses poèmes.
« C’est grand dommage, lui dit sa demoiselle d’honneur Amelia Murray : ils feraient à Votre Majesté beaucoup de bien. »
Cet été-là, Victoria et Albert s’enchantent de leur propriété nouvellement acquise d’Osborne, sur l’île de Wight. Il leur est tellement agréable d’avoir une maison à eux qui ne soit pas une résidence officielle. Ils peuvent y vivre paisiblement, en famille, loin des tracas de Londres, dans la pureté de l’air marin et la douceur du climat du sud de l’Angleterre. L’ampleur des terrains attenants, qu’ils veulent accroître encore, leur procure un isolement qui fait d’Osborne « un parfait petit paradis ».
« Tout cela près de la mer (les bois descendent jusque dans la mer) est absolument parfait ; nous avons une charmante plage rien que pour nous. La mer était si bleue et calme que le prince a dit que c’était comme Naples. Et puis nous pouvons nous promener n’importe où, entièrement seuls, sans être suivis ni harcelés. »
Au mois d’août, ils partent pour l’Allemagne, où ils iront à Cobourg voir le pays natal d’Albert. Le télégraphe fonctionne désormais si parfaitement bien qu’une loi de régence est plus que jamais inutile. Le ministre des Affaires
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