Victoria
étrangères, Lord Aberdeen, représente le gouvernement. Léopold rejoint leur train à Malines et les accompagne jusqu’à Verviers. À la frontière prussienne, c’est le chevalier Bunsen qui fait route avec eux vers Aix-la-Chapelle où les attend le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV. Victoria et Albert sont reçus au château Augustusburg de Brühl, à mi-chemin entre Cologne et Bonn. Le prince Guillaume propose un toast à la reine d’Angleterre en des termes enflammés :
« Il est un mot d’une inexprimable douceur dans les cœurs britanniques et allemands. Il y a trente ans, on le criait sur les hauteurs de Waterloo : c’est Victoire ! Victoria ! »
Victoria apprécie l’hommage, mais sa portée diplomatique lui paraît quelque peu embarrassante.
Par ailleurs, elle ne cache pas son mécontentement. En effet, le roi de Prusse a refusé au prince Albert la préséance qu’elle-même lui accorde en son royaume. Elle se jure qu’elle n’acceptera pas de sitôt une autre invitation prussienne.
Le lendemain, on donne un récital de musique instrumentale. Parmi les musiciens se trouvent Marie Pleyel, Hector Berlioz, Franz Liszt. Victoria bavarde comme tout le monde pendant qu’ils jouent. Soudain, Liszt s’interrompt. Le regard ténébreux du maestro fixe le plafond de la salle des fêtes, sa tête renversée déployant son imposante crinière. Le silence étant à peu près revenu, il reprend et le brouhaha repart de plus belle. Au beau milieu d’une phrase, Liszt ferme le piano, salue bien bas et s’en va.
La presse londonienne réprouve le comportement disgracieux de la reine. On s’indigne plus encore de ce que le prince se soit laissé entraîner à de honteuses boucheries qui ne méritent pas le nom de chasse. Des dizaines de sangliers, des centaines de cerfs ont été rabattus dans un enclos pour y être massacrés de la plus vile manière. La reine, en assistant à ces scènes barbares, ne s’est pas montrée suffisamment offusquée. Cela tendrait à prouver que, bien qu’elle n’ait pas un mauvais fond, elle a le cœur dur.
La principauté de Cobourg présente un tout autre visage. C’est celui d’une Allemagne romantique, attachée à des traditions ancestrales. Dans l’écrin d’une nature maternelle, la société a tout d’une grande et harmonieuse famille. Victoria se fait la réflexion que, si elle avait été quelqu’un d’autre, elle aurait aimé y vivre avec Albert et leurs enfants. Elle est émue de se retrouver sur les lieux de naissance du prince. La table à langer où Ernest et Albert étaient habillés est toujours là. Dans sa chambre, les murs portent encore les traces qu’ils y firent en tirant au fleuret.
À Reinhardtsbrunn, elle va voir sa chère vieille Lehzen. Au château fort de Cobourg, elle se rend, comme en pèlerinage, aux appartements de Martin Luther. C’est là que le père de la Réforme trouva refuge, sous la protection du duc, qu’il traduisit la Bible en allemand, pendant que se réunissait la diète devant laquelle Melanchthon lut la Confession d’Augsbourg. La tradition veut que cette tache, sur le mur, soit celle de l’encrier qu’il lança au visage du démon.
Quelques jours auparavant, pour l’anniversaire d’Albert, Victoria lui a offert un tableau de Thomas Unwins : Cupidon et Psyché . Ils ont tous deux 26 ans, et s’aiment d’une passion charnelle, que leur union spirituelle sanctifie en juste bonheur conjugal.
De nouveau, le 3 septembre 1845, le yacht Victoria & Albert fait route brièvement vers le Tréport. Louis-Philippe reçoit une fois de plus la reine d’Angleterre. Dans sa résidence d’été du château d’Eu, il fait à ses hôtes les honneurs de la galerie Victoria, où sont accrochés les portraits de Victoria et d’Albert par Winterhalter. Il a fait faire des tableaux de leur précédente visite et de la sienne à Windsor.
Tandis que le sage prince Albert et le turbulent prince de Joinville sont partis admirer un yacht, Victoria et Lord Aberdeen ont une conversation politique avec Louis-Philippe et Guizot. Dans le courant de l’été 1845, Guizot aurait dit à l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Madrid que Louis-Philippe était déterminé à presser le mariage de l’infante Luisa d’Espagne avec le duc de Montpensier, pour des raisons personnelles où la fortune de l’infante avait sa part.
Cette éventualité causerait beaucoup d’émotion outre-Manche, dans la mesure où elle
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