Victoria
Majesté, c’est un incorrigible déserteur.
— Mais n’a-t-il pas de famille ? N’y a-t-il pas dans son caractère quelques bons côtés qui rachètent ses fautes ?
— Il est vrai, Votre Majesté, que par ailleurs ses camarades disent du bien de lui.
— Oh ! Votre Grâce, je suis tellement heureuse d’entendre cela ! »
Tandis que ses yeux s’emplissent de larmes, Victoria raie l’ordre de condamnation. Rapidement, en travers du feuillet, d’une plume qui trahit le tremblement de sa main, elle écrit un seul mot en grandes lettres : « Pardonné – V.R. »
Aux fatigues de la maternité s’est ajoutée la tristesse de devoir se défaire de ses ministres. Victoria est presque aussi affectée par le départ de Peel qu’elle l’avait été de devoir se séparer de Melbourne. Quelle que soit leur couleur politique, la reine s’attache aux membres de son cabinet comme à des amis. Pour elle, le gouvernement, la cour, la nation sont un peu comme une grande famille. Elle aimerait pouvoir tisser des liens aussi étroits avec des souverains étrangers.
Elle recouvre tout à fait sa joie de vivre avec la visite d’oncle Léopold et de tante Louise. Ils sont venus pour le baptême de la princesse Helena. L’enfant porte le prénom de sa marraine, Hélène de Mecklembourg-Schwerin, duchesse d’Orléans et princesse royale de France par son mariage avec le duc Ferdinand-Philippe, fils aîné du roi des Français.
Quand Albert doit se rendre à Liverpool, pour inaugurer les docks Albert le 30 juillet 1846, elle vit ce bref éloignement comme un déchirement. Ils s’écrivent plusieurs fois par jour, mais elle ne peut pas s’y habituer. Dès qu’Albert n’est plus là, ne serait-ce que pour quelques jours, elle perd goût à la vie.
« Ce sera toujours une terrible souffrance de me séparer de lui, écrit-elle à Stockmar, même pour quelques jours, et je prie Dieu de ne jamais me laisser lui survivre. »
Avec Albert son bonheur revient, puis Léopold et Louise les rejoignent de nouveau au mois d’août, pour une croisière d’été. Le yacht Victoria & Albert vogue nonchalamment sous le soleil d’août, escorté par le Fairy et l’ Eagle . Le baron Stockmar, Lord Paget, Lord Spencer, Ann Napier et Lady Jocelyn sont aussi du voyage. Ils longent les côtes anglaises vers l’est, remontant l’estuaire de la Tamar et autres rivières. Les habitants des villages où ils accostent ont peine à croire que la reine et sa cour se trouvent parmi ces touristes bourgeois.
Ils croisent aux îles Anglo-Normandes, Jersey, Guernesey, où aucun souverain d’Angleterre n’avait mis le pied depuis le temps du roi Jean. Des salves crépitent par-dessus la musique des fanfares. Des jeunes filles toutes de blanc vêtues jettent des pétales de fleurs sous les pas de Victoria.
Chaque jour, dans sa cabine, Victoria tient à faire elle-même réciter leurs leçons à Bertie, Vicky et Alice. Passé Falmouth, le Lizard, Land’s End, on visite le duché de Cornouailles, qui est traditionnellement le patrimoine du fils aîné du monarque. Bertie, le prince de Galles, en costume marin, a tout spécialement la faveur des foules.
« Où est le prince ? Montrez-le-nous ! Dieu bénisse le prince de Galles ! »
À l’escale de Marazion, le « marché des Juifs », Albert joue sur l’orgue de la chapelle. Puis Victoria et Albert visitent des mines de fer : assis ensemble à bord d’un wagonnet, ils s’enfoncent sous terre, tirés par des mineurs vêtus de lainages, qui portent des chandelles allumées sur leurs casquettes, tandis que d’autres tiennent des lampes. Ils pénètrent dans des cavernes qui semblent irréelles, avancent à pied jusqu’à une veine de minerai dont Albert détache quelques morceaux à coups de pioche.
À Fowey, ils passent dans des rues qui doivent être les plus étroites du pays. Voici Tregony, où les feuillages des arbres effleurent l’eau, et les ruines couvertes de lierre du château de Restomel. Dans le village de Truro, la rivière serpente entre des chênes nains. La foule appelle encore le prince de Galles et l’on soulève Bertie à bout de bras.
De retour à Londres, Bertie reçoit en cadeau de Louis-Philippe une boîte de soldats de plomb. Pour Vicky, c’est une poupée dont les yeux s’ouvrent et se ferment. La reine de France, Marie-Amélie, a écrit une lettre à Victoria.
« Madame, confiante dans l’amitié très appréciée dont
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