Victoria
s’étonnera que ce soit pour lui permettre de poursuivre, de manière décisive, sa politique en faveur du libre-échange.
« Je vous recommande de considérer, dans les plus brefs délais, si les principes qui ont guidé vos actions ne pourraient pas avantageusement être mis en œuvre sur une plus grande échelle, et s’il ne serait pas en votre pouvoir, après un examen attentif des taxes existantes sur de nombreuses denrées, produites par les manufactures d’autres pays, de faire d’autres réductions et exonérations, qui soient de nature à assurer la continuation des grands bénéfices que j’ai évoqués, et, en étendant nos relations commerciales, renforcer nos liens d’amitié avec les puissances étrangères. »
Rarement un discours du trône fut aussi clairement une déclaration d’intentions politiques. Les dés en sont jetés : Peel engage la bataille du libéralisme économique. En composant un tel discours d’ouverture, il montre qu’il a dans son jeu un atout maître : le soutien de la reine.
Le 27 janvier, Sir Robert Peel prend à son tour la parole, devant les Communes, pour exposer sa politique. Il veut suspendre les lois sur le blé. C’est un pas décisif, car, ses collègues protectionnistes n’en doutent pas, quand les ports seront ouverts au commerce étranger, il ne sera plus possible de les refermer.
La Chambre est lourde d’un silence bourdonnant. À la tribune des spectateurs, le prince Albert assiste aux débats. Victoria l’y a encouragé : le prince se passionne pour les joutes démocratiques de l’Assemblée, il peut sembler naturel qu’il y vienne les écouter.
Lord John Russell, le chef du parti libéral d’opposition, ne fait aucun commentaire sur le discours du Premier ministre. Il se contente de rapporter qu’il a échoué à former un gouvernement. Les députés grommellent dans leurs fauteuils de cuir vert. La parole est à Lord George Bentinck, chef de la mouvance protectionniste. La mine renfrognée, il cède son tour à son bras droit, Benjamin Disraeli.
Disraeli se lève et commence à parler de sa voix mielleuse, dans un style orné de métaphores où l’ironie enfle irrésistiblement jusqu’au sarcasme. C’est maintenant Disraeli le sabreur, qui fulmine et s’acharne contre Peel.
« L’honorable chef du gouvernement, dit le très oriental Dizzy aux longues boucles noires, est comme le pacha du sultan qui, après avoir juré qu’il haïssait la guerre, finit par la déclarer en trahissant son maître impérial. »
La polémique est lancée, mais ce sont avant tout les deux branches du parti conservateur qui se déchirent. Quand Lord Bentinck prend enfin la parole, c’est pour fustiger la présence du prince Albert.
« Son Altesse Royale, dit-il en le désignant du doigt, est venu dans cette Chambre à l’instigation du Premier ministre de la Couronne, pour introniser, pour donner de l’éclat , et, pour ainsi dire, comme un reflet de la reine, pour donner le sentiment que Sa Majesté apporte sa sanction personnelle à une mesure dont, à tort ou à raison, la grande majorité de l’aristocratie terrienne d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande pense qu’elle lui portera un grave préjudice, si tant est qu’elle ne la ruine pas tout à fait. »
Peut-être n’a-t-il pas entièrement tort. En tout état de cause, l’intervention de Bentinck s’apparente à une revendication du droit des Communes de débattre privément. Plus encore, il n’est pas constitutionnel que le souverain s’invite inconsidérément à Westminster. Au moment du discours du trône, quand l’huissier du Bâton noir vient de la Chambre haute pour appeler la Chambre basse, les portes lui sont symboliquement claquées au nez, pour signifier l’indépendance du Parlement. Elles lui sont rouvertes après qu’il a frappé trois fois.
Victoria ne pouvait pas désirer meilleure confirmation de ce que le prince est bien désormais considéré comme son égal. Albert est roi de fait. Pourtant, elle s’indigne de cet incident, où elle veut voir un camouflet des seuls aristocrates protectionnistes.
« C’est tout de même un peu fort, s’exclame-t-elle, que nous soyons critiqués par des gentlemen qui ne font rien d’autre que chasser à longueur de journée, boire du bordeaux ou du porto le soir, et n’ont jamais rien étudié ni rien lu sur aucune de ces questions. »
Les débats s’éternisent jusqu’au printemps. Peel demeure pris
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