Victoria
entre plusieurs feux : les partisans de l’abolition pure et simple des lois sur le blé lui reprochent sa pusillanimité. En effet, il prévoit une période transitoire de quatre ans pendant laquelle les taxes seront progressivement diminuées.
« Peel a finalement accouché, déclare Richard Cobden, le député radical et libéral de Stockport, mais je ne sais pas bien si c’est un garçon ou une fille. Quelque chose entre les deux, je crois. »
Le 16 mai, en troisième lecture, après trois nuits de débats, à 4 heures du matin, les 516 membres des Communes votent par division. Certains sortent par la porte du « Oui », d’autres pas la porte du « Non ». La loi proposée par Peel est adoptée par 98 voix de majorité.
Elle ne rencontre pas d’opposition notable à la Chambre des lords. Cependant, le soir même où la Chambre haute confirme l’adoption de la nouvelle législation, le gouvernement de Peel tombe. Une coalition des libéraux avec la branche protectionniste de son propre parti le met en minorité sur la question de la loi de coercition qu’il demande pour l’Irlande.
Trois grands groupes divisent à présent les Communes : les libéraux, les conservateurs traditionnels et les « peelites », à qui les protectionnistes vont jusqu’à refuser qu’ils s’assoient à leurs côtés sur les bancs de l’opposition. Hué, sifflé, « chassé comme un renard », Sir Robert Peel a sacrifié sa carrière politique sur l’autel du libre-échange.
Le 26 mai 1846, Victoria a donné naissance à son cinquième enfant, la princesse Helena. Le gouvernement libéral de Lord John Russell se prépare à mettre en œuvre la politique instaurée par Peel. La reine, désolée de le voir partir, correspond avec son cher Sir Robert, qui s’est retiré dans son manoir de Drayton. Albert veille sur Victoria qui se rétablit.
L’un de ses peintres préférés, Franz Xaver Winterhalter, compose une toile de deux mètres sur trois qui représente la famille royale. Victoria et Albert, portant tous deux le grand ruban bleu de l’ordre de la Jarretière, sont assis côte à côte sur un sofa, tourné de trois quarts vers la gauche, de sorte que Victoria est en arrière-plan. Coiffée de la couronne, elle est vêtue d’une robe de dentelle blanche qui laisse ses épaules et ses bras nus. Le prince, en habit noir, lui effleure à peine la main de l’index. Son regard croise celui de Bertie. Le prince de Galles, en tunique rouge brodée de blanc, se tient debout, de l’autre côté de sa mère, dont la main droite est posée sur son épaule. Sur le tapis, devant eux, le prince Alfred, encore en âge de porter la robe à volant des nourrissons, fait ses premiers pas. Au premier plan, Vicky, la princesse royale, et sa sœur Alice entourent de leur affection la petite Helena. Le bébé repose sur le manteau de cérémonie écarlate doublé d’hermine. Ses yeux bleus et ceux de Victoria convergent vers le spectateur. Les pieds du tabouret de Vicky sont aussi ceux du lion dont la tête orne les accoudoirs de ses parents.
Le duc de Wellington, à 77 ans, se retire cette année de la vie politique, mais demeure commandant en chef des forces armées. Il se tient devant la reine, assise à sa table de travail. Son bâton de maréchal, qu’il tient serré sous le coude gauche, retrousse un pan de son habit à queue de pie. Son nez aquilin, sa maigreur, son pantalon blanc, retenu par des passants sous le talon de ses bottes munies d’éperons lui donnent l’air de quelque étrange oiseau.
Wellington ne parlera pas à sa souveraine du marin Whyte, condamné en cour martiale à recevoir 150 coups de fouet, qui a succombé sous les lacérations du « chat à neuf queues » le 15 juillet 1846. Le « Duc de fer » a vu bien des guerres, mais la barbare cruauté des châtiments pratiqués dans les armées et la marine de Sa Majesté le révolte. Il préfère garder le silence, plutôt que d’infliger à la reine une peine et une indignation aussi certaines que désormais inutiles.
C’est bien assez qu’il soit venu lui apporter l’ordre de condamnation à mort d’un soldat. Wellington attend, courbé sous le poids de sa déplorable mission, pendant que Victoria prend connaissance du sinistre document.
« Votre Grâce, lui dit-elle de sa voix très aiguë troublée par l’émotion, que sait-on de cet homme ? Vous connaissez certainement ses états de service.
— Hélas ! Votre
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