Victoria
Paris, la II e République était proclamée à la Bastille.
À Londres, où Victoria accueille charitablement un Louis-Philippe déchu, les membres radicaux de la Chambre des communes s’alarment de voir proposer en même temps une augmentation du budget de la défense. Ils craignent que ce ne soit le signe d’une hostilité du Royaume-Uni au rétablissement de la république en France.
« Nous faisons tout ce que nous pouvons, écrit Victoria à Léopold, pour cette pauvre famille, qui en réalité nous fait tristement pitié. Mais vous comprendrez naturellement que nous ne pouvons pas faire cause commune avec eux, et que nous ne pouvons pas prendre une position hostile au nouvel état des choses en France. »
Victoria et Albert n’ont que fort peu d’estime pour Louis-Philippe. Son comportement à leur égard, à titre personnel, leur paraît révélateur de défauts rédhibitoires, qui devaient tôt ou tard entraîner sa chute. À leurs yeux, il est tombé dans les mêmes travers que les Bourbons. Les Orléans semblent n’avoir rien appris non plus, s’il se peut qu’ils n’aient rien oublié.
« Ces malheureux mariages espagnols, oh ! ils y sont pour beaucoup, poursuit Victoria. Nous n’aimons pas nous en prendre à ceux qui sont à terre, mais le pauvre roi Louis-Philippe est grandement responsable de ce qui lui arrive, par son retour mal avisé à la politique des Bourbons . Néanmoins, je pense qu’il n’aurait pas dû abdiquer. »
S’il se peut que Palmerston ait contribué à déstabiliser la monarchie de Juillet, il est encore plus évident qu’il joue un rôle en Italie. Son émissaire officieux, Lord Minto, encourage les nationalistes italiens à se soulever contre l’occupant autrichien. En Piémont et dans les Deux-Siciles, l’agitation s’amplifie. Les menées de Palmerston, qui persiste à agir sans en informer la reine, ou bien en ne la prévenant qu’après coup, exaspèrent le prince. Ses agissements sont de nature à ébranler les monarchies partout en Europe, par le désordre et la sédition. Les événements de France attisent l’esprit révolutionnaire.
En Autriche, des émeutes contraignent l’empereur Ferdinand I er à se réfugier en Bohême. Metternich, chassé du pouvoir, s’exile à Londres. La Lombardie, puis la Vénétie, secouent le joug autrichien.
Le 18 mars 1848, Victoria donne naissance à son sixième enfant, la princesse Louise. Ce jour-là, Berlin se couvre de barricades. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, est forcé de composer avec les partisans de l’unification allemande, qui exigent un Parlement et la liberté de la presse. Son héritier, le prince Guillaume, accusé d’avoir fait tirer sur le peuple, est en fuite vers Londres, où il vient se réfugier chez le chevalier Bunsen, l’ambassadeur de Prusse.
Au même moment, à Kiel, les duchés de Schleswig et de Holstein se soulèvent contre le Danemark et déclarent leur indépendance. L’armée prussienne, augmentée de volontaires allemands, se précipite au secours des duchés. Les Danois sont bientôt refoulés dans leur frontière, sur la rive nord de l’Eider.
Le prince Albert, de même que l’opinion publique britannique dans son ensemble, est convaincu que le dessein des Allemands est d’isoler les duchés du Schleswig-Holstein pour les annexer. Le Danemark risquerait alors de devenir un État trop petit pour maintenir son indépendance.
Il semble que l’histoire soit en passe de lui donner raison. Albert, comme son ami Stockmar, appelle de ses vœux l’unification de l’Allemagne. Il est persuadé qu’elle se fera autour de la Prusse, à partir de son union douanière ( Zollverein ).
Au Royaume-Uni, la nouvelle de la révolution survenue en France a soulevé l’enthousiasme des chartistes. Des manifestations, regroupant des sympathisants de diverses nationalités, défilent sur les avenues de Londres. La date du 10 avril est arrêtée pour un gigantesque rassemblement à Kensington, qui doit marcher pacifiquement sur Westminster, pour présenter une pétition au Parlement.
« L’organisation de ces gens est incroyable, écrit le prince Albert à Lady Lyttleton. Ils ont des signaux secrets et correspondent de ville en ville au moyen de pigeons voyageurs. »
Les rumeurs les plus alarmistes circulent. Un certain David Urquhart, député de Stafford aux Communes, prétend avoir découvert une conspiration, ourdie par des agents russes. Une vingtaine
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