Victoria
de villes seraient incendiées simultanément pour instaurer le règne de la terreur.
Tout indique que le mouvement chartiste est structuré comme un réseau de sociétés secrètes, qui entretiennent des liens avec les révolutionnaires continentaux. Paradoxalement, ils trouvent un soutien chez les conservateurs protectionnistes : ils ont en commun de rejeter le libre-échange inauguré par Peel, et d’être profondément insatisfaits, pour des raisons différentes, de la réforme électorale de 1832. Cobden, le radical libéral, s’est souvent plaint de ce que les manifestations de la ligue contre les lois sur le blé fussent brisées par des chartistes de la « force physique », excités par les protectionnistes.
Il semble plutôt que la vague de 1848 soit dominée par ceux de la « force morale ». Toutefois, les pouvoirs publics prennent des dispositions pour juguler un assaut révolutionnaire. La stratégie défensive est confiée au duc de Wellington. Des vedettes à vapeur patrouillent sur la Tamise. Des batteries d’artillerie gardent les ponts, que les manifestants devront franchir pour atteindre Westminster. Quelque 10 000 soldats sont dissimulés en des points stratégiques ; on s’assure bien qu’ils demeurent invisibles, pour ne trahir aucune inquiétude. Par contre, la police enrôle près de 150 000 supplétifs volontaires, qui se déploient dans la ville pour veiller au maintien de l’ordre.
Le chef du mouvement chartiste, Feargus O’Connor, est membre des Communes pour Nottingham. Leader irlandais, il est aussi l’instigateur du « Land Plan », un projet visant à racheter des terres pour les louer à de petits exploitants. Tandis que le jour de la grande manifestation approche, il adopte un ton conciliatoire. S’adressant aux Communes, il se défend de vouloir les intimider et déclare qu’il ne permettra aucun débordement illégal.
Le 8 avril, à la gare de Waterloo évacuée par mesure de sécurité, Victoria et sa famille prennent le train pour Gosport, en route vers Osborne. Le lendemain, Charles Phipps, écuyer du prince Albert, parcourt les rues de Londres et ne rapporte pas le moindre propos hostile concernant le départ de la reine.
Le 10 avril 1848, jour d’une révolution annoncée, il pleut à verse. Presque toutes les boutiques sont fermées. Mr O’Connor a rendez-vous dans un pub avec Mr Mayne, commissaire de la police métropolitaine. Mr Mayne pense qu’il est préférable que les manifestants ne franchissent pas les ponts. O’Connor, tout à fait d’accord, tient à lui serrer la main.
À 2 heures de l’après-midi, l’amiral Ogle, à bord du Victory , reçoit un télégramme à Portsmouth : « Pour la Reine. Le rassemblement de Kensington s’est dispersé pacifiquement (la procession a été abandonnée), la pétition sera apportée à la Chambre des communes sans manifestation. Aucun trouble d’aucune sorte n’a eu lieu et pas un soldat n’a été vu. »
Parmi les nombreux supplétifs volontaires se trouvait le prince Louis-Napoléon Bonaparte, patrouillant avec quelques confrères près de Trafalgar Square. Il a pris soin que ce geste soit connu à Paris, pour faire savoir qu’il se range résolument du côté de l’ordre. Moins de deux semaines plus tard, ce même mois d’avril, quatre départements français l’élisent à l’Assemblée constituante.
« Je maintiens, écrit Victoria à son Premier ministre Lord John Russell, que les révolutions sont toujours mauvaises pour le pays, et la cause de souffrances innommables pour le peuple. L’obéissance à la loi et au souverain est obéissance à un pouvoir supérieur, divinement institué pour le bien du peuple , mais non pas pour celui du souverain, qui a également des devoirs et des obligations. »
En Irlande, l’échec du soulèvement annoncé est encore plus flagrant qu’en Angleterre. La pétition que les chartistes ont portée à Westminster ne contenait pas la moitié des quelque six millions de signatures déclarées. Bon nombre d’entre elles, parmi lesquelles se trouvaient même des imitations de celle de la reine, étaient manifestement fantaisistes. Une évidence s’impose : le ridicule a tué le mouvement chartiste.
Un vapeur traverse régulièrement le Solent, partant de la gare de Gosport, à deux heures de train de Londres, pour apporter à la reine les boîtes rouges contenant les dépêches gouvernementales. Victoria se remet de sa
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