Victoria
maternité. Chaque jour, elle travaille aux affaires de l’État, assise à son bureau tout contre celui d’Albert. Rien ne vient troubler sa quiétude domestique, en cet été 1848, si ce n’est l’agacement de certaines inconvenances dans ses relations avec le gouvernement : à plusieurs reprises, des lettres qui lui sont adressées personnellement lui arrivent décachetées. Elle ne peut certainement pas tolérer cela ! Pourtant, il y a plus grave : le style de Palmerston, aux Affaires étrangères, a le don de l’exaspérer. Albert tient cet homme-là pour un égoïste sans scrupules, dont la brusquerie ne cesse d’entraîner des incidents diplomatiques.
L’Espagne n’a pas été épargnée par le vent de la révolution ; il y a attisé une crise de succession au trône qui se mue en guerre civile. Palmerston a signifié tout de go à son ambassadeur de conseiller à la reine Isabelle II de changer de gouvernement. À défaut de suivre son avis, elle a prié Sir Bulwer, l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Madrid, de s’en retourner à Londres. Au Portugal, Palmerston écrit à l’ambassadeur Sir Hamilton Seymour sur un ton que Victoria juge inadmissible. Elle exige et obtient qu’une dépêche particulièrement choquante soit reformulée.
« La reine doit dire, écrit-elle à Lord Russell, qu’elle ne connaîtra aucun repos de l’esprit ni, par conséquent, la fin de ses difficultés, aussi longtemps que Lord Palmerston sera ministre des Affaires étrangères. »
Elle aspire à prendre de la hauteur et à se retrancher un moment des turbulences du monde. En un mot, l’Écosse lui manque. En septembre, Victoria et Albert se rendent pour la première fois à Balmoral. L’accueil chaleureux et serein des Écossais, la nature sauvage, l’air sec et froid leur sont toujours aussi bienfaisants. Ils partent pour de longues excursions, gravissant le Loc-na-Gar, traversant la forêt de Balloch Buie jusqu’aux chutes du Garbahlt. Tantôt à dos de poney, tantôt marchant, ils progressent en silence, Albert espérant surprendre quelque gibier. Ils s’arrêtent en des lieux pittoresques, dont Victoria fait des croquis. Près du Craig Daign, Albert réussit un coup de fusil mémorable : il abat un cerf royal. Les Highlanders en kilts qui les accompagnent sont convaincus que cette rare fortune est due à la présence de la reine. Sa Majesté, disent-ils, a « le pied chanceux », ce dont ils font grand cas.
Au mois de novembre, Lord Melbourne s’éteint à l’âge de 69 ans. Sur la fin de ses jours, il s’était beaucoup plaint de difficultés financières, au point que la reine lui avait consenti un prêt, mais ses soucis d’argent s’étaient avérés imaginaires. Il avait gardé ses entrées à la cour, bien que de plus en plus fantasque et somnolent. Victoria se souvient de ce jour où elle avait dû lui demander de se taire tant il invectivait contre la politique de Peel avec une insistance ridicule.
Il est certain que lorsqu’il était au gouvernement il a commis deux graves erreurs, l’une à propos de Lady Flora, l’autre avec l’affaire des dames de compagnie. Toutefois, Victoria n’oublie pas avec quelle affection il lui a enseigné patiemment son métier de reine, quand à 18 ans elle est montée sur le trône presque sans expérience. Elle porte le deuil de Melbourne sans ostentation, comme il convient à une souveraine désormais consciente que son devoir la place avant tout au-dessus des attaches partisanes.
Victoria reçoit de Louis-Philippe des lettres qui commencent par « Madame » et non plus par « Ma Sœur ». Sa situation est des plus pathétiques. À Claremont, on a découvert qu’il souffrait d’une intoxication au plomb, causée par l’installation d’une nouvelle citerne. On s’empresse de réparer cela. Victoria envoie à sa famille de petits cadeaux, comme cette broche qui a appartenu à sa fille Victoire. Elle a pu la racheter, parmi les trésors que l’on trouve en ce moment à Londres, où certains Français ruinés revendent leurs biens.
Au mois de décembre, l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République française étonne le monde. Le prince en exil, qui s’est distingué naguère au tournoi d’Eglinton, est tout à coup devenu l’un des personnages les plus importants d’Europe. Dans leur immense majorité, les Français lui apportent leurs suffrages. Avec la promesse de l’ordre qu’il
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