Victoria
l’affaire Don Pacifico. Le Premier ministre, Lord Russell, étant également mis en cause, il repousse le débat en fin de session. Sir Robert Peel mène une attaque en règle, à laquelle Lord Palmerston répond par un discours mémorable. Il défend sa « politique de la canonnière » par un discours fleuve de cinq heures. Sa péroraison est un splendide bouquet de rhétorique.
« Comme le Romain des temps anciens, pour préserver sa liberté face à l’iniquité, pouvait dire “ Civis Romanus sum ” (je suis un citoyen de Rome), de même un sujet britannique, en quelque pays qu’il se trouve, pourra être assuré que l’œil vigilant et le bras puissant de l’Angleterre le protégeront contre l’injustice et le mal. »
Ses pairs lui font une ovation. Palmerston triomphe. Son plus farouche adversaire, Sir Robert Peel lui-même, déclare : « Il nous a tous rendus fiers de lui. » Par ce discours, qui inaugure l’idée de la « Pax Britannica », « Pam » devient une idole nationale. À n’en pas douter, ses détracteurs sont pour longtemps réduits à l’impuissance.
Le lendemain, Sir Robert Peel rentre paisiblement à cheval d’une réunion de la commission pour la grande exposition. Sur le pavé de Constitution Hill mouillé par la pluie, son cheval glisse et tombe sur lui, lui enfonçant les côtes. Après trois jours d’atroces souffrances, Peel succombe à ses blessures. Oubliant les querelles politiques, tous ceux qui le connaissaient regrettent cet homme intègre. Protestant vertueux, il était le chef des anticatholiques. Homme de convictions, il a engagé le pays sur la voie du libre-échange, sacrifiant pour cela sa carrière et l’unité du parti conservateur. La disparition de cet homme timide et taciturne, que son humilité rendait néanmoins accessible, affecte tout particulièrement le prince Albert.
« Il a le sentiment, dit Victoria, d’avoir perdu un second père. »
La mort de Peel favorise Palmerston, dont il était le plus redoutable adversaire. Albert, lui, perd un inestimable soutien car Peel défendait son projet de grande exposition. Le jour de la mort de Peel, il écrit à Stockmar pour lui demander de revenir à Londres : « Nous sommes sur le point, lui dit-il, de devoir renoncer tout à fait à l’exposition. »
Une souscription a été lancée lors d’un banquet à la Mansion House, résidence du maire de la City. Le financement demeurant insuffisant, Albert a dû ouvrir un fonds de garantie. Néanmoins, les objections se multiplient. Les protectionnistes y voient, non sans raison, une opération de propagande pour le libre-échange. Le gigantesque édifice maçonné qu’il faudra construire va défigurer Londres : le prince dit qu’il tient beaucoup au site très central de Hyde Park, à quoi le Times rétorque que le parc deviendra le bivouac de tous les vagabonds du pays. Hors de question, qui plus est, qu’aucun des grands arbres séculaires soit abattu pour permettre un éphémère étalage de productions industrielles.
Au mois de juin a eu lieu une session d’essai dans les nouveaux bâtiments du Parlement de Westminster, enfin reconstruits après l’incendie qui les avait détruits en 1834. Parmi les spectateurs, il s’en trouvait au moins un qui n’était pas venu à Londres pour cette seule occasion. Il s’agit de Joseph Paxton, le génial jardinier du duc de Devonshire, dont Victoria et Albert avaient admiré les réalisations à Chatsworth, en 1843.
Dans le magazine Illustrated London News du 6 juillet 1850, Paxton publie les plans d’un projet remarquablement innovant pour le hall de la grande exposition. C’est une immense serre de verre montée sur une fine charpente de fer. L’idée lui en est venue en observant un nénuphar géant, ramené de Guyane britannique en 1837 par Robert Schomburk, auquel John Lindley a donné le nom de la reine : Victoria Regia . Le spécimen que Paxton cultive à Chatsworth a une croissance phénoménale. Les feuilles aux délicates nervures sont si solides que sa petite fille peut s’y promener sans risque.
Paxton s’est inspiré de cette structure pour construire le palmarium où la plante grandit. Les plans qu’il propose pour le hall d’exposition en sont une extension. La serre titanesque permettra d’englober les grands ormes de Hyde Park. L’ossature d’acier et les panneaux vitrés pourront être aisément démontés et transportés après
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