Victoria
fomente pour assassiner Victoria, ou bien pour l’enlever… Pourtant, certains nationalistes eux-mêmes concluent leurs assemblées en chantant le God Save the Queen .
Le 2 août, la reine arrive à Cobh, le port de Cork, dans l’estuaire de la Lee. À bord de l’annexe Fairy , Victoria produit un enchantement par sa féerique présence. Elle fait le tour du port sous les acclamations assourdissantes de la multitude. On tire plus de coups de feu en l’air que chez les Prussiens !
Le maire de Cork est adoubé chevalier sur le pont du bateau, « comme au temps jadis ». Enfin, Victoria débarque : elle est le premier souverain britannique de l’Histoire à poser le pied sur le sol du comté de Cork. Des jeunes filles jettent des pétales de fleurs sous ses pas. La reine donne son accord pour que la ville de Cobh soit à cette occasion rebaptisée Queenstown.
« Cork n’est pas du tout comme une ville anglaise, mais a plutôt l’air étranger. La foule est bruyante, excitée, mais de très bonne humeur, courant, chahutant, riant, parlant, hurlant. La beauté des femmes est très remarquable. »
Le voyage vers Dublin se fait sur une mer d’Irlande rebelle. Tout le monde a le mal de mer. En faisant route vers Waterford, pour passer la nuit au mouillage, la reine bavarde avec un vieux quartier-maître.
« Pourquoi, lui dit-elle, n’essayez-vous pas mon remède, Mr Welsh : quelques gouttes de chloroforme.
— Je vous conseille plutôt, Ma’am , répond le vieux marin, d’essayer le mien : une bonne pipe. Vous verriez que c’est beaucoup plus efficace.
— Je sais, intervient le prince Albert, pâle comme un linge, que les Anglais se moquent tellement du mal de mer, que je m’y résigne tout à fait, et je préfère que l’on se moque de moi, plutôt que de la reine. »
Le lendemain, Victoria parcourt les rues de Dublin dans une voiture ouverte, sans escorte, seulement précédée de quelques policiers montés. La foule est immense, dense, formidablement agitée. Elle est étonnée que les Irlandais l’acclament par de véritables hurlements. Pourtant, ce sont des cris d’enthousiasme. Elle ne ressent aucune hostilité. Le peuple apprécie manifestement qu’elle soit venue en toute confiance, sans aucun signe de crainte, accompagnée de quatre de ses enfants.
« Ah ! chère reine, lui crie une vieille femme, faites-nous un prince Patrick et l’Irlande mourra pour vous ! »
La foule est partout, sur les toits des maisons, sur les parapets des ponts, et la suit dans tous ses déplacements. Deux choses lui paraissent saisissantes : la pauvreté apparente des gens et la beauté des femmes.
« On voit ici plus de personnes en haillons et de misérables que je n’en ai vu nulle part ailleurs. En revanche , les femmes sont vraiment très belles, dans la classe la plus basse, aussi bien à Cork qu’ici. »
Un homme court à côté de la voiture et l’apostrophe d’une voix forte ; il insiste :
« Puissant monarque ! Pardonnez Smith O’Brien ! »
Elle se renseignera. William Smith O’Brien est condamné à être pendu, roué et écartelé. C’est une sentence pour haute trahison : Victoria n’a pas le pouvoir de le gracier. Elle suspend la peine, en attendant qu’une nouvelle législation permette de la commuer en déportation.
Au château de Dublin, résidence vice-royale du lord-lieutenant, près de deux mille personnes lui sont présentées tour à tour. Victoria porte une robe rose en lin d’Irlande, ornée de trèfles et autres symboles irlandais. Pendant tout son séjour, elle veille en toute occasion à ce que ses vêtements comportent au moins de la dentelle de Limerick.
Toujours sans escorte, Victoria visite un hospice de vétérans, la Banque d’Irlande et Trinity College, où on lui montre le Livre de Kell . À Phoenix Park, elle passe les troupes en revue. Six mille cavaliers font la démonstration d’une charge, sabre au clair, et s’arrêtent à quelques mètres de sa calèche. À Carton, dans le comté de Kildare, elle va voir le duc de Leinster, seul duc d’Irlande. À Belfast, elle se rend au Linen Hall, la maison de l’industrie du lin.
De retour à Dublin, on remarque particulièrement sa présence à l’École nationale modèle, aux côtés des deux archevêques de Dublin, l’anglican et le catholique, ainsi que des représentants de l’Église presbytérienne.
Même le Freeman’s Journal , d’ordinaire agressivement hostile,
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